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Quand les jaunes battent les blancs

A Singapour, un ressortissant suisse a été condamné à cinq mois de prison et à trois coups de bâton pour s'être introduit dans un dépôt de métro et avoir endommagé une rame avec des graffitis. Diffusée par la presse helvétique, cette information a soulevé l'indignation à peine voilée des journalistes, toujours animés d'une sollicitude confraternelle envers les voyous du monde entier. Chez les lecteurs, les réactions rejoignaient plutôt celles, saines et tranchées, que l'on pourrait entendre dans une arrière-salle de bistrot de l'UDC: C'est très bien! Ça lui apprendra! On devrait faire la même chose chez nous!

Nous ne nierons pas une certaine sympathie pour ces commentaires qui expriment l'aspiration légitime à une société où l'ordre et la discipline régneraient, où l'on tabasserait les casseurs plutôt que les honnêtes gens, et où les graffitis seraient rares, spirituels, élégants et politiquement justes. Qu'on nous permette toutefois de pousser l'analyse plus avant et d'exposer deux réflexions supplémentaires.

La première est une simple extrapolation de ce qui précède: avant de punir un auteur de déprédations, il faut l'identifier et l'arrêter. Chez nous, on n'imagine pas la police mobiliser les moyens nécessaires pour retrouver un simple «tagueur». A Singapour, c'est possible. Cela dit, il y a peut-être une explication: selon la presse, l'individu en question serait un jeune consultant en informatique. Connaissant l'empressement des consultants à distribuer leurs cartes de visite partout où ils passent, il est possible que la police de Singapour n'ait pas eu besoin de chercher longtemps l'adresse du coupable.

La seconde réflexion est précisément liée à la profession de ce déplaisant compatriote. On se perd en conjectures sur les raisons qui peuvent pousser un consultant en informatique à aller «sprayer» des métros de l'autre côté de la planète! Si l'on écarte l'hypothèse d'une motivation purement publicitaire (hypothèse qui ne saurait pourtant être exclue: cinq mois de prison et trois coups de bâton, c'est beaucoup moins cher que ce qu'on doit payer ici pour atteindre une pareille notoriété!), il se pourrait qu'il s'agisse d'un de ces intellectuels anarcho-révolutionnaires, physiquement désœuvrés et revendiquant quelque position idéologique. (Opposition aux transports publics? dénonciation du péril jaune?) Pour cette racaille-là, trois coups de bâton, c'est beaucoup trop peu et Singapour (de même que Toronto, si vous avez suivi l'actualité) devrait davantage s'inspirer de la Chine de Mao.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 2 juillet 2010)