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Autant de cantons, autant de sorcières

Les années nonante ont été marquées, en Suisse, par la mode des excuses officielles et des repentirs publics face aux «fautes du passé». Mais les modes ne passent pas aussi vite qu'on le croit et, aujourd'hui encore, ceux qui souffrent de voir leur bonne conscience insuffisamment mise en valeur n'ont aucune difficulté à trouver quelque «juste» à réhabiliter à grand renfort de publicité médiatique. Les sorcières, par exemple: c'est très «tendance». Il y a quelques années, l'Eglise réformée du canton de Zurich a confessé sa responsabilité dans les persécutions dont ont été victimes les sorcières aux XVIe et XVIIe siècles. A la suite, le canton de Glaris a décidé de réhabiliter la «dernière sorcière d'Europe» Anna Göldi, décapitée en 1782; le Conseil d'Etat ne voulait pas s'adonner à cette contrition de mascarade, mais les députés, excités par quelques journalistes, lui ont forcé la main.

On a maintenant appris que Fribourg blanchissait à son tour «sa» dernière sorcière, la Catillon, brûlée en 1731. La presse politiquement correcte s'est ruée sur cette non-information en insistant sur le fait que la Suisse détenait le «record européen» de la chasse aux sorcières, en révélant aussi que la grande majorité des sorcières condamnées étaient des femmes (ah?) et en soulignant que cette répression était particulièrement virulente dans les cantons «réactionnaires» de Fribourg et du Valais. De «brillants spécialistes» en ont profité pour établir des liens avec le fanatisme religieux et l'inquisition catholique, mais aussi avec la lutte des dominants contre les dominés, avec la torture pratiquée à Guantánamo, ou encore avec la difficulté du pouvoir politique à asseoir son autorité dans les découpages territoriaux complexes («Plus il y a de frontières et plus on a brûlé de sorcières»). En résumé, si les sorcières ont été victimes d'horribles persécutions, c'est la faute à la Suisse, au fédéralisme, au christianisme, au sexisme et à George Bush.

Aujourd'hui, tous les cancrelats médiatico-académiques qui voudraient, sinon brûler M. Uli Windisch, du moins le chasser de l'université ou tout au moins le déchoir de son titre de professeur de sociologie pour le seul motif qu'il n'exprime pas des idées de gauche, peuvent se tapoter le ventre avec satisfaction en se répétant que les chasses aux sorcières, au XXIe siècle, ça n'existe plus.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 31 juillet 2009)