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Bye bye NQ

Larmes violettes sur un journal finalement conservateur

Je suis essentiellement conservateur. En toutes choses et de manière absolue. Sauf… Sauf pour le Nouveau Quotidien – paix à ses lambeaux – qu'il convenait de ne pas conserver.

Sa dernière édition fut tout à la fois un soulagement et une révélation: celle du conservatisme prodigieux qui sommeille malgré tout au fond de chaque partisan du Progrès. Ce journal qui se voulait résolument tourné vers l'avenir, vers le changement, vers des mutations de plus en plus rapides, le voilà qui se retourne sur son passé, dont il n'est soudain plus question de faire table rase. C'est entendu, le Canton de Vaud est antédiluvien, il doit fusionner. La Suisse a fait son temps, elle doit s'effacer. Et le fédéralisme. Et la neutralité. Et l'indépendance. Et la démocratie directe. Tout passe et tout doit finir.

Mais pas le Nouveau Quotidien! Touche pas à mon canard!

Donc, après beaucoup de numéros déchirés, le dernier fut plutôt déchirant. Des larmes violettes coulaient sur les photos jaunies du passé: là, c'était mon fauteuil, là, mon ordinateur, et là notre cafétéria, et nos archives, notre réduit éditorial, et là c'était nous en train de faire semblant d'écrire, et là Jacques Pilet qui pensait vraiment le monde… Ce dernier, qui n'est plus concerné, est à peu près le seul à rester fidèle à ses principes et à se réjouir de la méga-fusion. Les autres se lamentent frileusement sur un titre qui devait durer mille ans et qui n'en a pas tenu dix.

Etonnante galerie des portraits mondains qui ont jalonné sa brève existence: des gens qu'ils ont aimés, des confrères surtout, des collègues, des correspondants, des exclus connus, des marginaux vedettes, des hommes politiques «pas comme les autres». O stupeur: la dernière photo est celle de Christoph Blocher! Auraient-ils eu avec lui, un jour, un entretien courtois qu'ils voudraient confesser? Que nenni, rassurez-vous: c'est juste un obscur journaliste qui, le plus sérieusement du monde, raconte qu'il s'est trouvé une fois coincé dans un ascenseur avec le Diable en personne et qu'il a alors rêvé d'avoir un grand couteau pour «débarrasser le pays de son gêneur en chef».

Tel est débarrassé qui croyait le faire. Bye bye NQ, bon débarras!

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 13 mars 1998)