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Dimanche sans ch

Le «NQ» avait au moins un certain panache. Mauvais, malsain, mais original, disons: inédit. Le Nouveau Quotidien était un quotidien nouveau. Il inaugurait la presse intello de gauche et assumée en tant que telle. Son titre et son style étaient associés à un rédacteur en chef qui horripilait mais qui avait un nom, un visage, une personnalité, et peut-être même une âme. C'était l'époque de la «logomachine», le logiciel à penser le monde...

Si Dimanche.ch avait eu la même exemplarité dans l'erreur, s'il avait eu autant de relief critiquable, ou s'il était simplement arrivé en premier, on lui accorderait ici un éloge funèbre réjoui digne de celui qui avait salué la disparition du NQ il y a cinq ans (1). Las. Avec une encre violette affadie en un triste vert canard, le légataire idéologique dominical de feu le «Journal suisse et européen» a toujours fait pâle impression. Choquant exclusivement dans le sens de la mode, effronté seulement lorsque c'était permis, il n'a que moyennement titillé nos neurones. C'était déjà beaucoup d'honneur qu'on se moquât de lui parce que ses féroces enquêteurs s'épanchaient en dithyrambes énamourés sur un François Chérix poète, ou parce que ses plus fins analystes s'offusquaient des mauvaises fréquentations électroniques de la Ligue vaudoise - nous nous étions aussitôt amusés à compromettre ces vertueux progressistes en ajoutant un lien de notre site internet vers le leur! Cela valait-il la peine? Sommes-nous jamais allés consulter leur site? Avons-nous jamais ouvert Dimanche.ch pour autre chose que pour en récupérer le papier? Savions-nous seulement qui en était le rédacteur en chef? Ses dernières bassesses - on pense en particulier au sinistre meurtre d'Yverdon où les gens de Dimanche.ch ont décrété que la victime, puisqu'elle n'avait pas l'heur de leur plaire, était en réalité un provocateur, que ses cheveux courts dissimulaient mal un «crâne rasé» et que sa croix de Malte autour du cou pouvait très facilement être confondue, de loin, avec une croix gammée... - ses dernières bassesses, donc, nous les avons apprises en lisant d'autres journaux.

Mais ce seront les dernières. Touché par la morosité économique et les restructurations, Dimanche.ch a cessé de paraître après trois ans et demi d'existence - encore moins que le NQ. Chez Ringier, un certain Jacques Pilet commente la décision en exprimant quelques regrets assez froids. C'est ainsi, le monde change: le dimanche matin, à l'heure du culte, ceux qui ont foi dans le Progrès ne lisent plus les journaux et préfèrent désormais s'entraîner à la guérilla urbaine. Ceux qui veulent seulement se détendre lisent la presse populaire - «populiste» persifleront les jaloux. Et ceux qui veulent se détendre en se cultivant lisent La Nation (2).

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 27 juin 2003)


1) La Nation n° 1571 du 13 mars 1998.
2) On me fait remarquer que pour se cultiver correctement, il faut d'abord aller au culte et ensuite lire La Nation!