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L'analphabétisme sans peine

Il n'est jamais trop tard pour dire du mal du mal que fait l'école vaudoise. En l'occurrence, il s'agissait d'un article du mois de janvier dont j'avais perdu la trace et sur lequel j'ai remis la main le mois dernier. Il annonçait le lancement de manuels scolaires «pionniers» dans les écoles de Suisse romande. Une opération dirigée depuis un institut de recherche en pédagogie et pour laquelle on apprend que l'Etat de Vaud - qui se distingue autant par la situation catastrophique de ses finances que par la multiplication de ses innovations pédagogiques douteuses - s'est montré «particulièrement intéressé et généreux».

Ainsi, alors que l'Union européenne fait traîner l'évaluation d'un programme baptisé «Evlang» (éveil au langage), les cantons romands découvrent avec ravissement «EOLE», pour «Education et ouverture au langage». Va-t-on enfin apprendre le français à l'école? Evidemment non! D'abord parce qu'il s'agit de tout sauf du français. On veut au contraire encourager les élèves à «prendre goût à la diversité des idiomes». Le projet «permet aux enfants d'immigrés de valoriser leur propre langue» et «contribue à éliminer de nombreux préjugés».

Ensuite parce qu'il n'est pas question d'enseigner quelque langue que ce soit, mais seulement de «stimuler la curiosité linguistique des élèves (...) sans forcément se noyer dans les affres du purisme grammatical et lexical». Ce qui signifie en clair: s'amuser avec des sons, des lettres et des dessins d'animaux, répéter «bon anniversaire» en huit idiomes ou «chanter Frère Jacques en albanais» (sic!). Et pour bien insister sur le fait qu'une langue n'a pas à être comprise ni à transmettre des idées, chaque classe pourra «décoder des blagues en europanto» (la version européenne de l'espéranto!) puis «créer son propre classopanto en fonction de l'origine de ses membres».

Tous les petits étrangers qui ne seront pas renvoyés dans leur pays d'origine - où ils auraient peut-être eu la chance de trouver une «école de grand-papa» - ne sauront donc jamais lire ni écrire le français. Pas plus que tous les petits Suisses qui voteront un jour pour tel parti sans comprendre ce qui est écrit sur leur bulletin. Mais c'est à brève échéance déjà que tous ces petits analphabètes vont être utiles: si les prochaines études internationales confirment la place médiocre de notre pays, cela prouvera alors le caractère indispensable de la pléthore de chercheurs en pédagogie que nos impôts entretiennent.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 22 août 2003)