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Bachelors, masters, peanuts

Il y a deux semaines, dans cette rubrique, il était question du mérite qu'avait l'armée suisse d'inventer de nouveaux grades en français. Hélas, un ou deux jours plus tard à peine, les trouffions francophones trouvaient dans leur boîte aux lettres un bulletin de cette même armée suisse avec un gros titre en première page: «Armée Actualité: points principals» (sic).

Il est vrai que le choix des mots justes et le respect de la langue française sont des contraintes pénibles. M. Charles Kleiber, l'homme qui crée des réseaux inutiles et coûteux plus vite que son ombre, représentant auto-proclamé des hautes écoles de Suisse à Bologne, a trouvé la parade: il a décidé d'imposer à nos universités des grades qui ne sont d'aucune langue officielle helvétique et qui n'appartiennent pas au monde universitaire. Ainsi les étudiants se verront dorénavant affublés des titres de «bachelor» (plus simple à écrire que «baccalauréat») et de «master» (pour éviter le difficile circonflexe de «maîtrise»). Le cursus universitaire ne recèlera plus aucun piège pour les cancres.

Restera à vaincre la «résistance au changement». On trouvera sûrement un quarteron de juristes distingués qui auraient préféré qu'on choisisse le latin, une poignée de sociologues barbus qui regrettent l'espéranto, ou quelques académiciens argumentant mollement que ces termes pourraient être traduits en français, au dos des diplômes, en petits caractères. (Faut-il le leur permettre, sachant que les facultés de France et de Suisse romande n'adopteraient pas les mêmes traductions, lésant ainsi la sacro-sainte mobilité des étudiants?) On entendra le mépris des défenseurs du français à l'égard de cette régression culturelle, les cris des étudiants qui redoutent la «marchandisation» de leur savoir, les critiques des professeurs face à un alignement obsessionnel sur le modèle anglo-saxon. Cela fait beaucoup de résistance au changement. Mais M. Kleiber n'en a que faire. Il sait qu'il a Le Temps pour lui, où un scribouillard ébaubi est chargé de produire du dithyrambe au kilomètre.

Justement, le lecteur qui a le courage d'aller jusqu'au bout de l'article du Temps y trouve alors, telle une récompense, la merveilleuse conclusion que cherchait désespérément l'auteur de ces lignes: la traduction des titres universitaires en anglais coûtera 30 millions de francs.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 12 décembre 2003)