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Journaliste toi-même!

Echanges affables dans le petit monde de «ceux qui font la presse»

Beaucoup de gens aiment à dire – et nous nous y associons – que la lecture de L'Hebdo devrait se limiter à l'incontournable page des dessins de Mix & Remix, ensuite de quoi l'on peut refermer le journal et le jeter ou le coincer sous le pied d'une table bancale.

Voilà qui est certes assez méchant, mais ce n'est pourtant rien en comparaison de ce que peuvent écrire les chers confrères des rédacteurs de ce pauvre hebdomadaire. Après que ce dernier a organisé son «Forum des 100 qui font la Suisse romande», on a en effet pu lire dans une revue de la place une pleine page de fiel et d'ironie intitulée «Comment organiser votre petit forum de ceux qui comptent (avec cocktail réseautage)». Morceaux choisis: «Sur 100 personnes, prenez-en 92 que vous citiez déjà en 1981 comme les espoirs qui allaient révolutionner la Suisse romande. Pour les huit qui restent, mettez: un DJ, une femme, un moins de 30 ans, un immigré, un copain, un artiste qui fuck Blocher, un cinéaste de gauche et un/une homosexuel/le. Optez pour une base de 20% de personnes des médias. Elles assureront la promotion de votre petite sauterie ainsi qu'un job pour l'avenir, on ne sait jamais.» Et aussi: «Les vieux, pro-européens, chroniqueurs rabâchés, mâles disponibles, hommes sachant placer le mot "réseau" en trois langues et dix fois dans la même phrase doivent avoir toutes leurs chances.» Ou encore: «Pour écrire les biographies de vos invités, désignez, pour chacun, son meilleur ami journaliste. (...) Rédigez d'avance les conclusions du forum et les dix propositions pour la Suisse romande: vous connaissez les invités depuis trente ans, vous savez ce qu'ils vont dire.»

Ces lignes perfides prennent tout leur relief lorsqu'on sait qu'elles ont paru dans Saturne, publication satirique fondée et dirigée par Mme Ariane Dayer, longtemps rédactrice en chef de L'Hebdo avant que son éditeur ne la persuade de réorienter sa carrière. Mme Dayer, dont les éditoriaux de l'époque puisaient autant dans le prêt-à-penser que ceux de son successeur, serait-elle en train de brûler ses anciennes idoles? Ou simplement son ancien employeur? Quoi qu'il en soit, elle ne semble pas avoir réussi à se débarrasser de tous les réflexes hérités de son passé: le site internet du journal Saturne, s'adressant à ses annonceurs, promet pour 2005 «davantage de rencontres avec ceux qui font la Suisse». Encore les mêmes?

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 22 juillet 2005)