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Y a comme un défaut…

Notre société voue un culte irréfléchi aux techniciens, aux spécialistes, aux professionnels. On accorde volontiers une confiance aveugle à ces gens dont on pense qu'eux au moins maîtrisent les domaines dans lesquels nous sommes supposés ne rien comprendre. Ce faisant, on mélange hélas trop souvent les aspects purement techniques, dans lesquels, en effet, les spécialistes sont parfois compétents et le simple pékin souvent ignorant, et les aspects de logique générale sur lesquels tout un chacun devrait pouvoir se faire une opinion ou donner un avis.

Par exemple, rappelez-vous qu'un informaticien sait probablement mieux que vous comment on programme un ordinateur, mais qu'il est rarement capable de comprendre le but de sa programmation, de la replacer dans son contexte, d'imaginer sa confrontation avec des non-informaticiens et de concevoir comment vous allez utiliser son travail; et surtout, tel un génie abstrait, il est inapte à voir certaines contingences élémentaires qui sautent à vos yeux et à ceux de quasiment tout le monde.

Un domaine où ce constat est particulièrement douloureux est celui de la programmation des feux de circulation. Mais c'est là un vaste domaine qu'il faudra développer une autre fois, dans un long article de La Nation, voire en deux ou trois volumes des Cahiers de la Renaissance vaudoise. Pour la présente contribution, contentons-nous de relever le cas de l'ex-nouveau super-radar de «contrôle par tronçon» installé au début de cette année sur l'autoroute A9 dans le Chablais.

On nous annonçait depuis longtemps et à grand renfort de reportages médiatiques cette nouvelle icône du politiquement correct et de la répression écologique; de la prévention totalitaire et de l'hystérie anti-vitesse; du dogme suprême selon lequel les trains doivent rouler de plus en plus vite et les voitures de plus en plus lentement. Durant des mois, des spécialistes ont testé ce radar, procédant à d'innombrables mesures, contrôlant les paramètres les plus subtils, remplissant des gigabytes de calculs savants. Et lorsque toutes les vérifications furent terminées et que l'on annonça fièrement la mise en service officielle et définitive de l'installation… on s'aperçut soudain de ce détail que tous les automobilistes avaient instantanément remarqué à leur premier passage: les capteurs, montés à hauteur de portière du côté droite de l'autoroute, ne pouvaient pas surveiller la piste de gauche.

Un mois plus tard, les appareils étaient démontés et un porte-parole de l'Office fédéral des routes était courageusement dépêché devant les médias, non pas pour révéler combien cette expérience débile avait coûté aux contribuables, mais pour bafouiller quelques justifications misérables: l'opération «n'est pas un échec» et cette installation sera désormais réservée «à des voies uniques, comme des zones de chantier».

Sauf que, depuis qu'il a repris la responsabilité de l'entretien des autoroutes, l'Office fédéral des routes a fourni un effort remarquable pour que quasiment toutes les zones de travaux soient maintenues à deux voies.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 10 août 2012)