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Beaucoup de trous, peu de murs

Le nouveau bâtiment de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, baptisé Learning Center par quelque cuistre ignorant tout à la fois la langue d'ici et l'usage des édifices préexistants, ressemble, vu du ciel, à une énorme tranche d'emmental mollement et négligemment chiffonnée au bord de la route.

Il y a environ deux ans, lors d'une visite du chantier, les ingénieurs responsables de la construction avaient pourtant réussi à nous faire apprécier cet ouvrage. Ils nous avaient parlé de prouesses architecturales, de portée exceptionnelle des arcs, de surface inhabituelle des dalles, de qualité particulière du béton, d'innovation dans le coffrage et le ferraillage. On sentait la force de la matière, la présence des contraintes physiques, le réalisme et l'humilité du métier.

Las!, toutes ces notions solides avaient disparu lors de la présentation à la presse et aux médias, il y a quelques jours. Nous avons en effet eu droit à une exaspérante litanie baba – répétée avec délectation par les journalistes et les architectes, extorquée à quelques chercheurs et étudiants, puis péniblement ânonnée une ultime fois par le président de l'école – sur la gestion innovante de l'espace, sur l'ouverture symbolique des lieux de travail, sur le décloisonnement de la science, et sur le caractère révolutionnaire, voire «féminin», de la construction. Ce grand machin se présente donc comme un volume unique, dépourvu de toute paroi de séparation (on suppose qu'il n'y a pas de toilettes...). L'objectif, à ce que l'on a compris, est d'encourager le partage fraternel entre les chercheurs: tout ce qui est à moi est à toi, mes crayons sont tes crayons, mes recherches sont tes recherches, mes découvertes sont tes découvertes, etc. Le résultat est un mélange de camp hippie et de kolkhoze soviétique.

Tel est le «message» que les architectes ont voulu délivrer. Comme si la science ne pouvait pas progresser ailleurs que dans une espèce de vaste squatt autogéré. Comme si l'homme n'avait jamais inventé la roue ni mis les pieds sur la lune avant que le Learning Center ne vienne «décloisonner» la recherche.

Ce discours sur l'absence de murs nous rends mûrs, surtout lorsqu'on apprend que ce temple du collectivisme intellectuel a coûté 110 millions de francs, dont un peu plus de la moitié payée par nos impôts: on n'ose imaginer le prix s'il avait fallu ajouter des cloisons intérieures!

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 26 février 2010)