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Ecrire des gros mots, ce n'est pas bien; les répéter, c'est pire

C'est l'histoire d'un jeune garçon trop peu doué – ou trop paresseux – pour avoir appris un bon métier et qui tente de gagner sa vie en écrivant de petits textes où il croit pouvoir masquer son absence de talent par une profusion presque comique d'insolences, d'injures et de grossièretés dignes d'un adolescent attardé. Le pauvre hère vit loin d'ici, en France, où il a mené une existence heureusement méconnue jusqu'au jour où, ayant entendu parler de la Suisse, il a décidé de concentrer sur cette vague notion toute sa bile littéraire, ses aigreurs artistiques et ses frustrations intellectuelles; en résumé, il hait la Suisse, les Suisses, la politique suisse, l'histoire suisse, les montagnes suisses, le chocolat suisse et tout ce qui, de près ou de loin, est susceptible d'être suisse.

Seuls trouvent grâce à ses yeux les journalistes suisses, qui sont devenus – ou étaient déjà – ses petits copains et qui parlent désormais chaque jour de lui et de sa prose sinistre – que ce soit en l'interrogeant, en questionnant le public à son propos, ou en lui consacrant des commentaires tantôt critiques, tantôt compréhensifs. Pourvu qu'on en parle…

Bien malgré eux, les lecteurs suisses romands ont donc été amenés à découvrir les propos orduriers que leur adresse cette petite gouape à la noix. Et les réactions n'ont pas manqué, sur le même ton: on lui retourne ses injures, on lui dit de balayer devant sa porte, on le traite de tous les noms – qu'il mérite assurément. Saltimbanque raté, pamphlétaire pourri, le voilà haï… mais néanmoins cité. C'est lui faire trop d'honneur et l'on s'en abstiendra ici; on ne mentionnera même pas son nom.

Notre propos est plutôt de regretter que les honnêtes citoyens qui ont pris la plume pour répliquer à ces déplaisantes imprécations n'en aient pas profité pour dire leurs quatre vérités aux journalistes qui les ont complaisamment et abondamment colportées. Car c'est bien par eux que le scandale est arrivé. Ce sont eux qui ont donné de l'écho à ce qui n'aurait jamais dû en avoir. Ils se sont donné l'air de se distancer de la forme en évitant pourtant de condamner le fond, qui ne devait pas entièrement leur déplaire – dénigrer la Suisse, c'est tendance, non? Et pourtant c'est bien la forme qui devait faire leur beurre: des injures grossières, des répliques outrées, le ton qui monte, les ambassades qui s'en mêlent… Commercialement et intellectuellement, le journaliste aime cette agitation!

Alors pourquoi s'en prendre à Y. M., «écrivain et cinéaste», et épargner R. M., journaliste au Matin, qui mérite autant de claques? Qui sait, d'ailleurs, si nos journalistes n'ont pas commandité la laborieuse rédaction de Y. M.? Qui sait même si ce Y. M. existe réellement ou s'il ne s'agit pas d'une invention de la presse romande destinée à animer un peu le mois de février?

Critiquons les artistes, oui, mais n'oublions pas les journalistes.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 12 février 2010)