Tous mes articles

Dites 88!

Après les attentats du 11 septembre 2001, les médias nous ont beaucoup parlé de la stéganographie, c'est-à-dire la dissimulation d'informations impossibles à repérer au milieu d'une foule de données, par exemple parmi les points d'une image. C'est ainsi, pense-t-on, que les terroristes ont communiqué entre eux. Et c'est peut-être pour cela que l'on se méfie désormais des moindres petites choses, pressentant que les pires signes de reconnaissance peuvent se dissimuler dans les détails les plus insignifiants.

A Bulle, donc, après une x-ième bagarre entre «blacks» et «fachos», un directeur d'école a voulu interdire les croix suisses susceptibles d'être arborées en signe de provocation ou de défi. Alors que chacun se demandait déjà comment déterminer si telle croix suisse était portée avec une intention provocatrice ou non, le directeur en question avait précisé que la mode des vêtements rouge à croix blanche n'était pas concernée par l'interdiction. Ce qui ajoutait encore à la confusion, de tels vêtements constituant une occasion rêvée de provocation! Réalisa-t-on alors le casse-tête que l'on préparait à de pauvres juristes? Toujours est-il que le directeur revint finalement sur sa décision.

Mais à ce coup de sang passager succède maintenant un projet tout à fait sérieux, sorti des services fédéraux de Mme Ruth Metzler. Au nom de la lutte contre l'extrémisme de droite, il devrait devenir possible de réprimer l'utilisation de «symboles à caractère raciste», et notamment le fameux code «88» qui signifie «HH», c'est-à-dire «Heil Hitler». Certains commentateurs ont cru utile de préciser qu'un chiffre 88 sur le maillot d'un footballeur ne serait pas punissable. Le Département de justice et police prend lui aussi quelques précautions en affirmant que «si une personne place le chiffre 88 dans une tête de mort, il n'est pas possible d'affirmer, sans preuve, que la personne connaît la signification d'une telle représentation». Il n'empêche que les tribunaux risquent quand même de s'amuser. Pourquoi interdire 88 et pas 8 tout seul (H pour Hitler) ou 18 (AH pour Adolf Hitler)? Et pourquoi pas un article constitutionnel abolissant le chiffre 13, puisque la 13e lettre de l'alphabet est M comme Mussolini?

Le diable se cache dans les détails, et une armée de fonctionnaires ne sera pas de trop pour disséquer des textes, repérer des codes suspects et sonder les intentions profondes de leurs auteurs…

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 21 mars 2003)