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Violence policière: c'est le pied!

Les médias nous racontent plein de choses horribles qui se passent en Irak, en Iran, en Afghanistan ou en Algérie. Cela doit être très déprimant pour un petit journaliste d'un quotidien provincial, confiné à la page locale et au compte rendu des chiens écrasés dans un rayon de 10 km, de n'avoir rien d'aussi passionnant à raconter puisque tout va bien chez nous. Mais tout va-t-il bien chez nous? En cherchant bien, on doit pouvoir trouver quelque affaire affreuse à dévoiler avec des trémolos dans la plume jusqu'à faire pleurer les dames du quartier...

Alors le journaliste cherche. Dans la catégorie «exactions des forces de l'ordre». Et il trouve. D'abord pas grand chose. Juste un petit communiqué de presse de la police évoquant des «citoyens» qui avaient signalé telle agression ou tel cambriolage. Il en tire un papier assez inquisiteur, s'interrogeant sur ce terme de «citoyen»: est-ce vraiment une attitude «citoyenne» que de dénoncer ses voisins? La police appelle-t-elle la population à la délation? Frémissement. Mais on arrive difficilement à en tirer plus.

Heureusement, le journaliste trouve ensuite beaucoup mieux. Les forces de l'ordre ont dû intervenir dans un appartement d'où émanait un bruit qui dérangeait tout le voisinage. Les agents prétendent qu'ils se sont faits recevoir à coups de poings par une tribu de fêtards éméchés qu'ils ont dû emmener au poste pour les calmer. Mais le journaliste n'est pas dupe. Il enquête, interroge, creuse le sujet, et nous livre quelques jours plus tard la vraie version, celle que lui ont racontée lesdits fêtards: ce sont les policiers qui ont commencé, qui sont entrés de force en frappant tout le monde sans donner d'explications, continuant de taper ces pauvres gens qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. Ces derniers sont des étrangers; le Code pénal interdit donc de mettre en doute leur témoignage. De plus, on apprend qu'ils ont fait appel à deux avocats et à un juriste; l'abondance de ces hommes de loi laisse imaginer la gravité de l'affaire. Surtout, le journaliste possède des preuves irréfutables: à côté de l'article s'étale une grande photo... des pieds d'une des victimes, pieds dont le lecteur non averti pourrait d'abord penser qu'ils sont simplement un peu sales, mais dont la légende nous explique qu'ils ont été blessés par la furie policière qui s'est abattue sur cette famille tranquille.

Le jour où nous nous déciderons à dire à ce chasseur de bavures combien il nous casse les pieds, nous penserons à lui en apporter la preuve photographique!

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 23 janvier 2004)