Tous mes articles

Une loyauté mal placée

Munie de 113'901 signatures valables, l’initiative «Pour des loyers loyaux» a été déposée à la Chancellerie fédérale le 14 mars 1997, soit il y a plus de six ans. Or, depuis lors, la réalité socio-économique en Suisse a évolué au point que les solutions imaginées par les initiants en matière de droit du bail se révèlent aujourd’hui dépassées sur les plans politique, économique et technique. L’exemple le plus éloquent est le lissage du taux hypothécaire sur cinq ans.

Rappelons à cet égard qu’en droit actuel, le taux hypothécaire pratiqué par la banque cantonale du lieu de situation de l’immeuble est un des critères retenus en vue de déterminer la variation des loyers en cours de bail. Or, le taux hypothécaire de référence n’a aujourd’hui plus de réelle pertinence dans la mesure où les banques pratiquent des taux différenciés selon les clients. Il est donc insensé de faire dépendre l’évolution des loyers de celle d’un taux hypothécaire de référence théorique. Non seulement l’initiative maintient la référence au taux hypothécaire, mais en plus elle prévoit le lissage de celui-ci sur cinq ans. En d’autres termes, cela signifie que les loyers doivent être déterminés en fonction d’un taux hypothécaire calculé sur la base des moyennes établies sur cinq ans. En plus d’être totalement déconnectée de la réalité économique, la prise en compte d’une telle moyenne entraînera des conséquences pratiques intolérables. Ainsi, suivant les circonstances, les loyers pourront continuer à augmenter quand bien même le taux hypothécaire de référence est revu à la baisse.

L’initiative présente d’autres inconvénients, en particulier en cette période marquée par la pénurie sur le marché du logement. En effet, le rendement autorisé des fonds propres investis dans la construction d’immeubles sera le taux hypothécaire de référence, alors qu’en vertu de la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral, la rémunération des fonds propres peut dépasser de 0,5% ce taux. Si l’on veut attirer des investisseurs immobiliers, notamment dans notre Canton, ce n’est en tout cas pas en diminuant arbitrairement le rendement auquel ils peuvent s’attendre que l’on y parviendra! Par ailleurs, en vertu du texte de l’initiative, le caractère abusif des loyers sera contrôlé par une statistique établie par l’Etat, les loyers ne pouvant pas dépasser les moyennes statistiques pour des objets comparables. En clair, cela signifie que la Confédération devra mettre en place un outil statistique coûteux, ce qui débouchera dans les faits sur une étatisation des loyers et induira un nivellement complet de ceux-ci, dans la mesure où les loyers supérieurs devront être abaissés à la moyenne et tireront ainsi la statistique vers le bas.

Un autre aspect contestable de l’initiative concerne les conditions de résiliation du bail. En droit actuel, les locataires sont, à juste titre, protégés contre les congés abusifs. Mais les initiants veulent aller plus loin, en imposant l’obligation au bailleur que le congé intervient pour un juste motif. Cette proposition est contraire à la liberté économique ainsi qu’à la garantie de la propriété dans la mesure où, dans les faits, elle limitera drastiquement la faculté du bailleur de disposer librement de son bien.

Bref, lorsque l’on parcourt l’initiative attentivement, on se rend compte qu’elle n’a rien de loyal, contrairement à ce que laisse entendre son intitulé trompeur. Elle regorge de fausses «bonnes idées» qui seront bétonnées dans la Constitution fédérale en cas de vote favorable le 18 mai prochain. Elle complique le droit du bail au point que les bailleurs privés, qui représentent 65% des bailleurs pris dans leur ensemble, risquent de devoir s’adresser à un spécialiste pour calculer une simple variation de loyer. Pour toutes ces raisons, nous voterons NON le 18 mai prochain.

(La Nation n° 1704, 18 avril 2003)

Tags:   La Nation