De l'automobile et de l'art d'en bien parler
On peut être parmi les plus fervents défenseurs de l'automobile, trouver dans la conduite un délicieux délassement, admirer les voitures puissantes qui donnent de l'urticaire aux écologistes... et se scandaliser néanmoins de l'horripilant verbiage vaniteux et creux dont les journalistes spécialisés affublent chaque nouveau modèle.
Au lieu de regretter le rythme infernal auquel les marques modifient leur gamme, ils s'impatientent au contraire de l'arrivée de chacune de ces nouveautés qui relèguent au musée les modèles précédents - extraordinaires deux ans auparavant. Au lieu de s'inquiéter de ces voitures qui prennent de l'embonpoint et qui entrent de plus en plus difficilement dans leurs places de parc, ils s'émerveillent au contraire de ce que la nouvelle version a «encore gagné quelques centimètres». Au lieu de commenter sobrement les données techniques, ils préfèrent se répandre en dithyrambes grandiloquents, en envolées lyriques, en métaphores audacieuses pour décrire les carrosseries que tout un chacun peut voir sur les photos. Quand ils ne savent plus quoi dire pour souligner l'originalité d'une voiture qui n'en a guère, les commentateurs du marché automobile évoquent le «supplément d'âme», la «passion», la «sensibilité», la «charge émotionnelle» de la bébête en question. Interrogés avec déférence, d'augustes «designers» en chef alignent des platitudes sirupeuses sur la nécessité d'avoir plus de femmes dans leur métier et assènent mille considérations inconsistantes sur le labeur de leurs subordonnés. Enfin, à grand renfort de nouvelles dénominations anglophones, on évoque le phénomène «inéluctable» de la diversification des modèles, qui fait que chaque coupé sport, chaque cabriolet, chaque monospace, chaque 4x4, existe désormais en version 4x4, en version monospace, en version cabriolet et en version coupé sport, transformant les catalogues généraux en autant d'encyclopédies. Quel progrès!
Tout cela est insupportable. Heureusement qu'il reste encore des écologistes pour nous donner envie de conduire de belles voitures.
(Le Coin du Ronchon, La Nation du 18 mars 2005)
Au lieu de regretter le rythme infernal auquel les marques modifient leur gamme, ils s'impatientent au contraire de l'arrivée de chacune de ces nouveautés qui relèguent au musée les modèles précédents - extraordinaires deux ans auparavant. Au lieu de s'inquiéter de ces voitures qui prennent de l'embonpoint et qui entrent de plus en plus difficilement dans leurs places de parc, ils s'émerveillent au contraire de ce que la nouvelle version a «encore gagné quelques centimètres». Au lieu de commenter sobrement les données techniques, ils préfèrent se répandre en dithyrambes grandiloquents, en envolées lyriques, en métaphores audacieuses pour décrire les carrosseries que tout un chacun peut voir sur les photos. Quand ils ne savent plus quoi dire pour souligner l'originalité d'une voiture qui n'en a guère, les commentateurs du marché automobile évoquent le «supplément d'âme», la «passion», la «sensibilité», la «charge émotionnelle» de la bébête en question. Interrogés avec déférence, d'augustes «designers» en chef alignent des platitudes sirupeuses sur la nécessité d'avoir plus de femmes dans leur métier et assènent mille considérations inconsistantes sur le labeur de leurs subordonnés. Enfin, à grand renfort de nouvelles dénominations anglophones, on évoque le phénomène «inéluctable» de la diversification des modèles, qui fait que chaque coupé sport, chaque cabriolet, chaque monospace, chaque 4x4, existe désormais en version 4x4, en version monospace, en version cabriolet et en version coupé sport, transformant les catalogues généraux en autant d'encyclopédies. Quel progrès!
Tout cela est insupportable. Heureusement qu'il reste encore des écologistes pour nous donner envie de conduire de belles voitures.
(Le Coin du Ronchon, La Nation du 18 mars 2005)