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Le contre-projet à l'initiative «Des notes pour une école transparente»

La contestation des réformes scolaires appliquées dans le Canton, et plus particulièrement de la réforme EVM, s'est focalisée ces derniers temps sur la question de l'évaluation des élèves. En effet, si certaines transformations de l'enseignement ont pu parfois passer inaperçues, il n'en a pas été de même avec le remplacement des notes chiffrées par des appréciations verbales du type «acquis» ou «non acquis» – appréciations dont le nombre et le libellé exact ont d'ailleurs varié au fil du temps. Cet abandon des notes traditionnelles, non explicitement annoncé au moment du vote sur EVM, a suscité, entre autres réactions, le lancement d'une initiative populaire intitulée «Des notes pour une école transparente» et réclamant le retour à des évaluations chiffrées. Cette initiative a été déposée en mai 2001 munie de près de 20'000 signatures.

Craignant le succès de cette initiative devant le peuple, le Département de la formation et de la jeunesse a rapidement fait connaître son intention d'élaborer un contre-projet. Celui-ci a été présenté en mars dernier par la conseillère d'Etat Anne-Catherine Lyon, au terme de trois journées de débats publics sur la question des notes.

Concrètement, le contre-projet du DFJ apporte plusieurs modifications à la loi scolaire en y précisant le rôle du plan d'étude, les objectifs de l'évaluation des élèves, la manière de communiquer les résultats de cette évaluation, ainsi que divers autres points. Sur la communication de l'évaluation, il est proposé de réintroduire les notes à partir du cycle secondaire seulement (dès la 5e année), les appréciations verbales restant en vigueur durant les quatre premières années de scolarité obligatoire.

Cette proposition peut apparaître comme un premier pas en direction des revendications de l'initiative. Un tel compromis n'en reste pas moins insuffisant et insatisfaisant pour plusieurs raisons.

La question fondamentale est de savoir si les notes constituent ou non un bon moyen pour communiquer des évaluations. La réponse à cette question doit amener à utiliser ou à ne pas utiliser les notes, mais pas à les utiliser partiellement durant une moitié seulement de la scolarité. Sur le fond, il est souhaitable que l’évaluation des élèves soit réalisée à l’aide de notes. Celles-ci sont connues de longue date et comprises par tout un chacun. Elles constituent un système de référence clair et précis tant pour les personnes qui les émettent – les enseignants – que pour celles qui les reçoivent – les élèves et leurs parents. Une note peut toujours être accompagnée d’un commentaire rédigé exprimant quelques nuances supplémentaires, y compris quant à la progression de l’élève par rapport à des travaux précédents.

Ensuite, la formulation choisie par le DFJ opère une distinction entre l'évaluation courante de la progression de l’élève d'une part, qui ne ferait l'objet que de commentaires, et le bilan ponctuel de ses connaissances d'autre part, communiqué par des commentaires au cycle primaire et par des notes au cycle secondaire. Une telle distinction confinerait abusivement l'usage des notes à quelques travaux stratégiques peu nombreux, alors qu’il devrait s’agir au contraire d’un moyen d’évaluation courant appliqué aux activités scolaires quotidiennes.

A cela s'ajoute que les niveaux 7-8-9 connaissent déjà à l'heure actuelle un nombre limité de notes et que les niveaux 5-6 utilisent des appréciations qui, dans la pratique, sont souvent calquées par les enseignants sur des notes de 1 à 6. La solution présentée par Mme Lyon ne constitue donc qu'un progrès insignifiant par rapport à la situation actuelle.

On relèvera encore que le contre-projet admet le calcul de moyennes annuelles de branche mais refuse catégoriquement toute moyenne générale. Il s'agit là aussi d'un aspect critiquable. A un moment ou à un autre, tout enseignant est obligé de procéder à une évaluation globale de l'élève pour décider, par exemple, de sa promotion – question qui intéresse d’ailleurs aussi les parents. C'est précisément le rôle d'une moyenne générale que de permettre cette évaluation globale – en introduisant le cas échéant des coefficients différents selon les branches, ou en définissant des groupes de branches. Une telle moyenne permet en particulier de rattraper certaines matières faibles par d'autres mieux maîtrisées. Cette possibilité est exclue dans la logique d'EVM qui, sous prétexte d'être «plus exigeante», impose à l'élève d'être «suffisant» partout. La conséquence en est que, pour éviter de recaler quasiment tous les élèves, les enseignants sont aujourd'hui obligés de tricher sur les exigences et de placer très bas la barre du «suffisant».

Enfin, il y a aussi lieu de contester l’abandon des moyennes de branche intermédiaires durant l’année. Si l'on comprend correctement le sens du contre-projet, les livrets trimestriels seraient abandonnés au profit d’une «information régulière des résultats de l’évaluation», c’est à dire d’un dialogue permanent entre les enseignants et les parents. Il s’agit là d’une conception pervertie du partenariat, qui impose des disponibilités impensables de la part des enseignants et des parents. Les rencontres entre parents et enseignants doivent rester réservées aux cas difficiles, les bulletins de notes constituant un moyen simple et suffisant dans les autres cas.

Ces objections ont été communiquées au DFJ dans le cadre de la procédure de consultation. Le texte définitif adopté par le Conseil d'Etat au début d'avril n'a cependant pas subi de modification substantielle. Le Grand Conseil va maintenant devoir se prononcer sur l'initiative et sur le contre-projet. La votation populaire devrait avoir lieu en novembre.

En présentant son contre-projet, Mme Lyon a reproché à l'initiative d'aborder les problèmes «sous l'angle unique de la manière de communiquer les résultats». Cette remarque ne manque pas de pertinence et il conviendra donc, le moment venu, de replacer la question de l'évaluation dans la perspective plus générale d'une critique de la réforme EVM et des principes qui la sous-tendent.

(La Nation n° 1732, 14 mai 2004)

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