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Roses ou anthracites, tous complices!

A l'époque où la droite nationaliste française montait dans les sondages et faisait peur à la nomenklatura bien pensante, il était de bon ton de lui imputer la responsabilité de toutes sortes d'agressions racistes ou supposées telles. On disait: «Certes, ce n'est pas vous qui avez commis tel crime, mais par vos discours, vous avez incité des gens à le faire!» Et les gens de gauche aimaient à répéter que «les mots aussi tuent!»

Aujourd’hui, c'est bien plutôt la violence de l'extrême-gauche que l’on voit à l’œuvre. Cela a été tout spécialement le cas durant les manifestations anti-G8. Mais ici, plus personne ne parle du poids des mots. Les discours des altermondialistes incitent à lutter contre la propriété privée, contre l’économie capitaliste et contre la liberté de réunion, mais lorsque les casseurs passent à l’action, les organisateurs officiels se contentent de nier toute responsabilité. Les plus cyniques se déclarent stupéfaits et attristés. Et lorsque certaines voix se font entendre - y compris dans les médias - pour contester la thèse d’une séparation claire entre «manifestants pacifiques» et «casseurs violents» et soupçonner au contraire une certaine complicité, un concert de protestations indignées s’élève des rangs de la gauche.

Ces vertueuses dénégations méritent quelques réponses. D’abord, il faut rappeler que les blocages de routes destinés à empêcher le passage des délégations étrangères (mais qui ont pris en otages de nombreux autres citoyens) ont été ouvertement revendiqués par les altermondialistes. Or ces blocages constituent aussi des actes de violence inadmissibles.

Ensuite, si les casseurs et les pilleurs n’étaient peut-être pas très nombreux, nombreux en revanche sont ceux qui les ont «couverts» en les accueillant au milieu de leurs manifestations et en gênant le travail de la police. Nombreux aussi sont ceux qui ont exprimé leur compréhension et leur tolérance envers la violence, notamment en répétant que la seule violence était celle de la police, ou celle des chefs d’Etat réunis à Evian.

Cette tendance est particulièrement remarquable sur les sites internet anti-G8. De nombreux militants qui interviennent dans les forums de discussion refusent de condamner ou de juger qui que ce soit et préfèrent évoquer «différentes formes» de contestation de la société. On peut lire des dissertations interminablement ennuyeuses sur la «catégorisation» des casseurs et sur leur degré de conscience politique, seul élément susceptible de faire la différence entre les bons et les méchants. On trouve aussi un «communiqué de presse» justifiant le pillage des magasins dans le sud de Lausanne et revendiquant ouvertement l’alliance entre les «Pinks Blocks» danseurs de samba et les «Anthracites Blocks» (sic!) dresseurs de barricades enflammées. Info ou intox? N’importe qui peut intervenir sur un site internet tel que «Indymedia.ch», personne n’assume une quelconque responsabilité…

En se voulant «autogérée», la mouvance altermondialiste constitue ainsi un drôle de marécage où des pacifistes réclamant la mise à l’écart des casseurs côtoient des intellos cherchant à donner une légitimité politique à cette violence. Ceux qui émergent de cette masse pour organiser des rassemblements et des cortèges ont alors beau jeu de se désolidariser de ce qui se passe en marge. Mais c’est un jeu malhonnête!

(La Nation n° 1708, 13 juin 2003)

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