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Les communautés professionnelles contre la lutte des classes

Les discours «altermondialistes» dont l'actualité regorge s'en prennent souvent à l'économie, accusée de dicter ses lois à la politique. Constatant la mondialisation de nombreuses entreprises multinationales, on réclame la mondialisation de la politique. On affirme la nécessité de défendre des travailleurs exploités contre des patrons exploiteurs.

Cette manière d'analyser toute la société à travers la notion de conflit est très réductrice. C'est l'idéologie de la lutte des classes, expression vieillotte apparaissant quelquefois dans les diatribes des contestataires mais constamment présente dans leur esprit. On est capitaliste ou socialiste, on doit choisir son camp.

Rappelons alors qu'une manière plus réaliste et moins idéologique d'aborder ces questions consiste à voir dans l'économie l'un des moteurs nécessaires au fonctionnement d'une communauté humaine: elle permet de produire des biens et de fournir des services utiles à la communauté; elle permet de commercer avec d'autres pays; elle permet aussi aux personnes de s'accomplir à travers un métier.

Contrairement aux classes qui appellent l'idée de conflit, la notion de communauté évoque le regroupement des individus autour d'intérêts communs, parfois croisés. Au sein d'une même profession, employés et employeurs ont ainsi un intérêt commun à défendre leur métier. La communauté nationale désigne un intérêt supérieur, un point de convergence capable de rassembler les organisations professionnelles ou syndicales. Du point de vue des relations de travail, l'appartenance à une même communauté est propice à désamorcer les éventuels conflits; elle donne du sens à la notion de «bien commun».

Lorsqu'un tel système fonctionne, chaque profession a les moyens de s'organiser, de se fixer des règles et de se «policer» pour écarter ceux qui refusent de jouer le jeu. L'Etat n'intervient ainsi qu'indirectement dans l'économie: d'abord en garantissant des conditions-cadre favorables à l'activité économique (fiscalité, transports, sécurité, etc.), mais aussi, si les milieux professionnels le lui demandent, en conférant la force obligatoire aux conventions collectives qu'ils ont négociées. L'Etat veille ainsi à l'harmonie générale de la communauté nationale. La prise en compte différenciée des réalités économiques et professionnelles particulières à chaque branche contribue fortement au réalisme et à l'efficacité du système.

Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un système abstrait, ni moribond. Le corporatisme, ou ordre professionnel, après avoir été rageusement démantelé à l'époque de la Révolution française (loi Le Chapelier), a ressurgi dans les esprits au cours de la première moitié du XXe siècle. En Suisse, il est pratiqué aujourd'hui de manière vivante par des centaines d'associations cantonales, régionales ou fédérales. Celles-ci négocient des conventions collectives, organisent la formation professionnelle, proposent des conseils et des services à leurs membres, interviennent auprès des autorités.

Grâce à cette heureuse conception des relations professionnelles, la Suisse a connu des décennies de paix du travail et d'élévation générale du niveau de vie. On est loin des slogans des altermondialistes, décidément trop idéologues et trop internationalistes pour comprendre la réalité et la spécificité des communautés particulières.

(La Nation n° 1707, 30 mai 2003)

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