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Initiative pour des places d'apprentissage: NON à l'étatisation et à la centralisation!

Comme toujours, le titre est alléchant: «pour une offre appropriée en matière de formation professionnelle». Hélas, derrière cette étiquette trompeuse se cachent une fois de plus deux principes ravageurs: l'étatisation et la centralisation. L'initiative sur laquelle nous voterons le 18 mai, aussi appelée «initiative pour des places d'apprentissage», émane des milieux de gauche. Elle prévoit:

  • La garantie constitutionnelle d'un droit à la formation. Chaque jeune sortant de l'école pourrait exiger de disposer d'une place d'apprentissage. La Confédération et les cantons devraient veiller à ce que l'offre soit suffisante, au besoin en créant eux-mêmes des places d'apprentissage supplémentaires.
  • La possibilité d'effectuer l'apprentissage entièrement en école, sans passer par les entreprises.
  • Le financement de la formation professionnelle au moyen d'un fond commun alimenté par tous les employeurs, géré par la Confédération et redistribué par les cantons.

La raison avancée pour justifier cette initiative est la pénurie de places d'apprentissage survenue au début des années 90, et qui semble se reproduire aujourd'hui en raison des difficultés économiques, tout au moins dans certains secteurs. Plus généralement, il faut sans doute y voir une méfiance vis-à-vis des entreprises et une préférence systématique pour les écoles officielles, où le contrôle de l'Etat peut s'exercer de bout en bout et où la formation intellectuelle prime sur la formation pratique.

D'un point de vue théorique, l'approche est fausse. Le «droit à la formation professionnelle» implique que celle-ci soit, au moins en partie, prise en charge par l'Etat. Or la formation professionnelle n'est pas une tâche de l'Etat. Elle n'est pas la dernière étape de la scolarité mais la première de la vie professionnelle.

D'un point de vue pratique ensuite, l'étatisation de la formation professionnelle et sa centralisation entre les mains de la Confédération ne résoudront pas les problèmes évoqués par les auteur de l'initiative. Elles entraîneront au contraire une machinerie fédérale coûteuse et surtout une détérioration de la formation professionnelle.

La Suisse est un des rares pays à pratiquer depuis longtemps un système de formation professionnelle dual (à la fois en école et en entreprise). Mais d'autres pays, qui connaissent des taux de chômage élevés chez les jeunes, commencent à s'intéresser à notre système. La «scolarisation» proposée par l'initiative va en sens contraire. Elle permettra peut-être une «offre appropriée» sur le plan quantitatif, mais certainement pas sur le plan qualitatif. Les écoles n'ont pas une bonne connaissance des besoins réels des entreprises. Elles n'ont pas non plus les mêmes conditions de travail, du fait qu'elles sont rarement en situation de concurrence. Les jeunes qui passeront par de telles filières manqueront de formation pratique. Leur apprentissage risque de se trouver déconnecté du monde du travail et de rendre plus difficile leur insertion professionnelle.

Quant à la centralisation de la formation professionnelle entre les mains de la Confédération, elle accentuera cet éloignement de la réalité du terrain. Dans de nombreux métiers, l'apprentissage ne peut pas être organisé au niveau fédéral car il doit respecter la diversité des besoins et des possibilités de chaque canton. Or par le biais du financement (création d'un fonds fédéral), l'initiative induirait une approche globale pour toute la Suisse et pour toutes les branches! On peut aussi prévoir que la centralisation du financement poussera à la centralisation de certains cours… en Suisse allemande, au grand dam de nombreux apprentis romands! L'idée de répartir le financement de la formation professionnelle sur l'ensemble des patrons pourrait être bonne… à condition que cela se fasse par canton et par branche! Ce n'est pas ce que prévoit l'initiative!

Il faut signaler qu'une nouvelle loi fédérale sur la formation professionnelle doit entrer en vigueur en 2004. Cette loi, conçue en partie comme un contre-projet indirect à l'initiative, répondra mieux à certaines conditions actuelles de l'apprentissage. Malheureusement, elle comporte aussi des défauts importants, notamment en favorisant les solutions fédérales au détriment des systèmes cantonaux. Cela étant, elle représente un moindre mal en regard de l'initiative, à laquelle il faut impérativement voter et faire voter NON.

(La Nation n° 1703, 4 avril 2003)

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