Tous mes articles

Communauté des nations, vénalité des nations

Pendant la campagne qui a précédé la votation sur notre adhésion à l'ONU, le conseiller fédéral Joseph Deiss et quelques autres propagandistes nous ont beaucoup vanté cette «communauté des nations», censée être l'expression de la volonté des peuples. Les opposants, quant à eux, rétorquaient que ces soi-disant «Nations Unies» ne constituaient qu'un jouet entre les mains des grandes puissances et que notre présence à l'ONU nous placerait – peut-être pas tout de suite mais sans doute dans un délai de quelques années – dans des situations inconfortables où se révélerait durement le caractère hypocrite de cette organisation.

Le hasard n'a pas voulu attendre quelques années, et c'est donc dès le jour de notre arrivée à New York que nous nous sommes retrouvés dans la tourmente de la crise irakienne. Au-delà de l'inefficacité et de l'impuissance évidentes des institutions onusiennes face à une superpuissance déterminée à faire la guerre, il est aussi édifiant de lire ici ou là dans la presse comment ladite superpuissance a tenté d'«acheter» purement et simplement certains pays siégeant au Conseil de sécurité, l'organe exécutif de l’ONU.

Avec le Mexique, par exemple, les Etats-Unis ont pu faire utilement valoir des accords tarifaires en cours de négociation, et dont l'économie mexicaine a besoin. Le Pakistan, lui, aura été sensible à un prêt important consenti par le Fonds monétaire international – au sein duquel les Etats-Unis sont très influents. Le pays devrait en outre toucher quelque 300 millions de dollars d'aide américaine cette année. Face au Cameroun et à la Guinée, Washington a fait miroiter un accès privilégié au marché américain grâce à la «loi sur la croissance et les opportunités en Afrique». Celle-ci octroie un traitement préférentiel aux pays d'Afrique sub-saharienne qui répondent à certains critères et «ne se livrent pas à des activités nuisant (…) aux intérêts de la politique étrangère américaine».

La Bulgarie, en échange de son soutien à l'Amérique, devait se voir accorder la qualification d'«économie de marché», cette mesure évitant aux entreprises bulgares qui vendent des produits à bas prix sur le marché américain d'être poursuivies pour «dumping». Quant au Chili, l'administration Bush a annoncé qu'elle demanderait au Congrès d'approuver un accord de libre-échange lucratif pour ce pays.

Pour des raisons stratégiques, des pressions semblables ont aussi été exercées sur des pays non membres du Conseil de sécurité, et en particulier sur la Turquie, qui a tenté de monnayer chèrement son soutien aux Américains mais qui y a finalement renoncé. Aussitôt, la Chambre des représentants à Washington votait un projet de loi sur les relations commerciales avec l'étranger, favorisant les importations pakistanaises au détriment des produits turcs!

Enfin, les Etats-Unis exploitent habilement la perspective de juteux contrats pour la reconstruction de l'Irak après la guerre. Le secrétaire américain au commerce Don Evans aurait ainsi déclaré: «Je vous assure que nous nous souviendrons de nos amis, de ceux qui étaient à nos côtés et de ceux qui ont fait des sacrifices avec nous.» Ce qui laisse clairement entendre que les pays qui auront eu l'outrecuidance de ne pas soutenir la politique américaine seront soigneusement tenus à l'écart des chantiers de reconstruction.

Le fait que la résolution ouvrant le droit à une guerre ait finalement été retirée face à la menace d'un triple veto français, russe et chinois ne change rien à l'affaire: la prétendue «communauté des nations» est apparue comme une mascarade où les petits pays sont manipulés et où la loi du plus fort règne. Que se serait-il passé si la Suisse avait siégé au Conseil de sécurité? Aurions-nous cyniquement vendu notre voix, par exemple en exigeant la restitution des fonds extorqués aux banques suisses il y a quelques années? Ou serions-nous restés pacifistes jusqu'au bout, au risque de subir de nouvelles mesures de rétorsion à l'encontre de notre économie?

A supposer que l'ONU résiste à ses dissensions internes et à la guerre en Irak, il faut au moins espérer que nos représentants songeront désormais à se forger une vision moins naïve et plus réaliste des relations internationales.

(La Nation n° 1702, 21 mars 2003)

Tags:   La Nation