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Aide à la presse: l'inquiétante sollicitude de la Confédération

Depuis une trentaine d'années, la Confédération rêve de mettre en place une politique fédérale des médias permettant d'assurer la qualité et la diversité des sources d'information. L'idée générale est de lutter contre la concentration des entreprises de ce secteur en aidant financièrement celles qui sont à la fois les plus menacées et les plus nécessaires à cette diversité. Depuis les années 70, on a vu défiler plusieurs projets allant dans ce sens. Mais tous se sont heurtés à de fortes oppositions, à commencer par celles des éditeurs et des journalistes, peu désireux de voir l'Etat intervenir dans leur profession.

Cela ne signifie pas que la Confédération s'abstient de toute intervention. Dans le domaine des médias électroniques, elle réglemente en effet la répartition du produit de la redevance radio-télévision entre les diffuseurs officiels et privés, selon des critères précis. En ce qui concerne la presse écrite, elle doit toutefois se contenter d'une aide indirecte consistant à subventionner l'acheminement postal des journaux, également selon certains critères précis.

A Berne, les partisans d'une «conception globale des médias» ne se satisfont pas de ce système, qui, à leur yeux, profite à un trop grand nombre de publications et ne permet pas d'aider de manière ciblée celles qui correspondent à leur propre conception de la diversité, à savoir les quotidiens régionaux. Ces dernières années, on a ainsi vu le droit au tarif postal des journaux se rétrécir comme une peau de chagrin, en particulier pour les petites publications associatives et d'opinion. En dépit de toutes les oppositions manifestées récemment par les milieux concernés, des critères encore plus restrictifs sont annoncés pour 2004. Mais ce ne sont là que des étapes transitoires, l'objectif final étant de remplacer la subvention du tarif postal par une aide financière directe aux éditeurs sélectionnés par la Confédération. La mise en place de cette nouvelle politique, envisagée pour 2007, fait actuellement l'objet d'une procédure de consultation.

Une première remarque est que les promoteurs de cette «politique fédérale des médias» se moquent ouvertement des nombreuses oppositions exprimées jusqu'ici, qu'ils tentent de faire taire par une guerre d'usure, en présentant inlassablement de nouveaux projets et en répétant que «la nécessité d'agir reste entière».

Une seconde remarque est que la consultation ne porte officiellement que sur un nouvel article constitutionnel donnant à la Confédération le mandat d'«encourager la diversité et l’indépendance des médias». La législation qui en découlerait est seulement esquissée dans le rapport explicatif et devrait être définie ultérieurement par le Parlement. Cette manœuvre en deux temps est source de confusion et les citoyens qui accepteraient la première étape se retrouveraient piégés.

Une troisième remarque est qu'il faut relativiser la prétendue «nécessité d'agir». D'abord parce qu'il n'est pas sain que l'Etat veuille contrer l'évolution d'un secteur économique en aidant financièrement des entreprises en difficulté, même sous les meilleurs prétextes. Ensuite parce que la Suisse, pour sa taille, jouit d'un nombre de journaux proportionnellement plus important que dans d'autres pays. Les représentants des médias contestent la réalité d’une concentration inéluctable et irréversible de la presse, et internet offre aussi désormais de nombreuses sources d'information alternatives.

Une quatrième remarque est que la Confédération, en concentrant son aide sur la presse régionale commerciale, opèrerait un choix arbitraire et contestable. Les publications émanant d’associations, d’organisations professionnelles ou syndicales ou encore de groupes de réflexion contribuent au moins autant à la diversité des opinions. Il serait ridicule que les tarifs préférentiels accordés aujourd'hui à des journaux comme La Nation leur soient retirés au nom du maintien de la diversité de la presse! Il serait tout aussi absurde de désavantager les grands quotidiens d'audience suisse: quoi qu'on pense des idées qui y sont véhiculées, ils ne sont pas moins utiles que les journaux régionaux. A tout prendre, il serait préférable que la Confédération renonce à toute forme de subvention.

Il conviendra donc de combattre les projets fédéraux dans ce domaine.

(La Nation n° 1697, 10 janvier 2003)

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