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«Monnaie pleine»: une fausse conception de la BNS

L’initiative est fondée sur une méfiance viscérale à l’égard des banques commerciales et sur une idéalisation naïve de la BNS, à laquelle elle cherche à confier un rôle qui n’est pas le sien. Il n’en résulterait aucune sécurité supplémentaire, mais un risque inutile pour le crédit.

«Vous pensiez que seule la Banque nationale avait le droit d’émettre de la monnaie? Eh bien détrompez-vous, la majeure partie de notre argent est créée par des banques privées!» L’initiative «Monnaie pleine», soumise au vote populaire le 10 juin prochain, séduit de nombreuses personnes en jouant sur leur méconnaissance du système monétaire. On peut certes comprendre que certains soient surpris; mais pour juger valablement, il ne faut pas s’arrêter à cette «découverte».

Il faut considérer tout d’abord que le système actuel fonctionne de manière satisfaisante depuis des décennies, avec un franc stable, une régulation bancaire assez sévère, des dépôts garantis jusqu’à 100'000 francs. Bien sûr, le risque zéro n’existe pas et on peut toujours imaginer des scénarios-catastrophes, mais ceux-ci restent relativement abstraits.

Il faut examiner ensuite ce que l’initiative pourrait offrir de mieux. Un premier constat est que le principe de la «monnaie pleine», qui empêcherait les banques commerciales de créer de l’argent par leurs crédits, n’existe pas dans d’autres pays. On nous propose donc de remplacer un système peut-être imparfait mais qui fonctionne, par un système «parfait» que personne n’a encore testé.

Mais cela seul ne suffit pas encore à discréditer l’initiative. Il faut lire le texte de cette dernière pour réaliser à quel point elle est étatiste et dirigiste. Tout le raisonnement est en effet fondé sur une méfiance viscérale à l’égard des banques commerciales, et sur une idéalisation naïve de la Banque nationale suisse (BNS). Celle-ci serait chargée, en particulier, d’«approvisionner l’économie en services financiers», mais aussi en crédits à travers des banques privées qui ne joueraient plus qu’un rôle d’intermédiaire. Pour accorder ces crédits, la BNS devrait… créer de l’argent, beaucoup d’argent, exactement de la même manière que les banques commerciales le font aujourd’hui! Cet argent serait-il plus sûr? S’agirait-il de monnaie «pleine»? Non, car la couverture-or a été abandonnée il y a longtemps déjà et la monnaie émise aujourd’hui par la BNS est tout aussi artificielle que la monnaie scripturale créée par les crédits bancaires. La sécurité de la monnaie pleine est un leurre.

C’est en revanche la stabilité du système de crédit qui est en jeu. La BNS créerait-elle automatiquement l’argent dont chaque banque privée a besoin? Le système serait alors le même qu’aujourd’hui, mais en plus lent. Mènerait-elle une politique autonome, en décidant par elle-même quelles quantités de monnaie doivent être émises? On courrait alors le risque d’une création monétaire inadéquate, trop généreuse ou trop restrictive, déconnectée des besoins réels de l’économie.

L’initiative «Monnaie pleine» cherche à confier à la BNS un rôle qui n’est pas le sien. Cela ne rendrait pas le système monétaire plus sûr, mais déstabiliserait en revanche le système du crédit.

Pierre-Gabriel Bieri, L'Agefi, 3 mai 2018

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