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Sudoku

Même La Nation en parle…

L'honnête citoyen qui, en cette fin d'été, ignore encore ce que sont les sudokus mérite une médaille. Car on ne parle que d'eux. Ils sont partout. Dans les journaux, à la radio, sur internet. Rien qu'en Suisse romande, on les trouve dans Le Temps, dans Le Matin, dans 24 heures. Seul un petit journal d'irréductibles Vaudois résiste encore à l'envahisseur.

Non pas que ce jeu soit idiot. Comme vous le savez, il s'agit, dans une grille de 9x9 cases déjà plus ou moins remplie, de répartir les chiffres de 1 à 9 dans chaque ligne, dans chaque colonne et dans chacun des neuf carrés de 3x3. Il y a là une excellente occasion d'exercer ses méninges. Lorsque ces dernières sont bien entraînées et que l'on choisit un niveau facile, l'exercice dure une vingtaine de minutes. Dans les autres cas, cela peut prendre beaucoup plus de temps. Le sudoku étant un sport de bureau, la productivité des entreprises et des administrations s'en ressent, dans un sens ou dans un autre. Soit elle diminue parce que les employés ne sont pas des génies et passent beaucoup de temps à remplir leurs grilles – le sudoku est ici un «facteur d'absentéisme» – soit elle augmente au fur et à mesure que les employés développent leur vivacité d'esprit – on parle alors de «formation continue».

Quoi qu'il en soit, le défaut le plus insupportable de ce jeu est la manière dont les journalistes en ont fait un «tube» de l'été (après l'ours Lumpaz et le Dalaï-Lama). Pour une simple petite grille en page intérieure, combien d'éditoriaux, de chroniques, de reportages, de dossiers et de communiqués de presse pour nous apprendre que sudoku signifie «chiffre unique» en japonais, que son origine remonte à l'Antiquité, que son principe mathématique a été étudié par Leonhard Euler, qu'il est réapparu (le sudoku, pas Euler) dans la presse américaine à la fin des années 70, puis au Japon en 1984, puis dans le Times et dans la presse du monde entier depuis le début de cette année, et surtout qu'il s'agit d'un phénomène de société incontournable dont les médias doivent absolument nous parler à tout bout de champ pour renforcer l'idée qu'il s'agit d'un phénomène de société incontournable… A quand une loi fédérale sur les sudokus? Et une petite «conception globale» démontrant qu'il est urgent d'en finir avec les sudokus de grand-papa, et que les sudokus, c'est bien connu, ne s'arrêtent pas aux frontières cantonales?

C'est ainsi que les journalistes finissent par nous donner envie de dire beaucoup de mal d'un jeu qui, sans cela, aurait pu sembler pas trop bête.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 2 septembre 2005)