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Deux villes, une métropole?

L’idée avait déjà été évoquée l’an dernier dans le mensuel Bilan; elle a reparu dans Le temps des affaires du mois d’octobre: «La métropole Lausanne-Genève continuera à se faire aussi sûrement que 2 et 2 font 4!», affirment Jean-Philippe Leresche et Dominique Joye, de l’Institut de recherche sur l’environnement construit (IREC/EPFL).

Les auteurs de l’article, qui se défendent de vouloir penser du bien ou du mal de ce processus, partent d’une constatation où tout reste à démontrer; savoir que les relations entre les capitales vaudoise et genevoise attestent de la rapide formation d’une seule et même entité ou communauté qu’ils nomment métropole, et qui s’étendrait approximativement de Montreux jusqu’au-delà de l’agglomération genevoise. Puis, sur un ton culpabilisateur, ils fustigent les autorités politiques qui, tant dans un canton que dans l’autre, «ignorent la réflexion sur le nouvel espace» par peur d’une remise en question des structures actuelles.

Les difficultés qu’engendrerait la création d’une métropole lémanique font l’objet d’un survol lointain et prudent: redéfinition des frontières, affaiblissement de l’arrière-pays vaudois, rapports villes-campagnes, «gestion des inégalités et du système démocratique», participation politique des citoyens, autant de problèmes adoucis par le remède miracle qui protège les petits contre les grands, la baguette magique appelée subsidiarité. Dernier obstacle enfin: une éventuelle opposition de la population; pour l’éviter, il faut «penser un projet métropolitain qui n’aille pas contre les citoyens ni contre les communes. Par une pédagogie bien comprise, il devrait plutôt montrer qu’un bénéfice commun peut s’en dégager, pour autant que l’on respecte les exigences de participation, de démocratie et de subsidiarité». En d’autres termes, si vous dites non, on vous apprendra à dire oui.

Toutes ces assertions invitent à quelques réflexions. Tout d’abord, la neutralité dont les auteurs se réclament apparaît peu dans le texte; à maintes reprises, l’observation cède à l’activisme en faveur d’une transformation vue comme un progrès. Au niveau de la constatation ensuite, on voit mal pourquoi les rapports économiques, sociaux ou culturels qui existent entre deux villes devraient déboucher sur la formation inévitable d’une seule communauté; c’est faire bien peu de cas des facteurs historiques et humains qui lient certains individus et les différencient des autres.

Enfin, l’élargissement géographique des structures politiques est présenté comme une solution aux problèmes complexes de notre société – problèmes dont la collaboration et la concertation viendraient probablement à bout, pourquoi ne pas le dire? – mais également comme un moyen de «neutraliser les rivalités et les conflits locaux et de transformer en partenaires les adversaires d’hier». On tombe là dans une franche utopie où la centralisation et la planification globale sont censées aplanir les chemins escarpés de nos civilisations et supprimer les conflits qui les divisent. Les républiques socialistes soviétiques en sont revenues, et ce sera peut-être bientôt le tour des républiques capitalistes européennes; sommes-nous donc en retard d’une idéologie?

(La Nation n° 1434, 12 décembre 1992)

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