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Du piéton aux dinosaures: le martyre des carnivores

Mai 1968: «Il est interdit d'interdire.»
Avril 2015: «Il est interdit de ne pas interdire.»

Après l'interdiction de conduire en téléphonant, de conduire en ayant bu de l'alcool, de conduire en mangeant un sandwich, de conduire trop vite, sans permis, sans assurance, sans vignette, sans plaques d'immatriculation, sans lunettes, sans airbags, sans gilet fluo, sans trousse de secours, sans roue de secours et sans triangle de panne, on évoque déjà – en Allemagne et en Suisse, et apparemment sans qu'il s'agisse d'un poisson d'avril – la possibilité d'interdire de marcher dans la rue en téléphonant. D'où la suite logique: il faudra aussi interdire de marcher en ayant bu ou en mangeant un sandwich, de marcher trop vite (ou trop lentement?), de marcher sans permis, sans vignette, etc. Imaginez un peu un piéton qui, par manque de concentration, choirait en plein milieu d'un trottoir bondé, sans gilet fluo ni chaussures de secours, et sans un numéro qui permette aux caméras de surveillance de l'identifier avec certitude: l'Etat-qui-nous-aime-et-veille-sur-nous ne peut tolérer une telle pagaille.

Mais si la voiture automobile sera bientôt proscrite (au nom du collectivisme plus que de l'écologie), de même que l'alcool (moins efficace que la drogue pour avachir les foules à long terme) et le téléphone portable (l'idéal de la pureté hertzienne est consubstantiel à celui des légumes bio et du commerce équitable), il reste encore à régler le cas du sandwich. Il existe déjà quelques motifs pour y interdire la viande de porc, ou le foie gras, ou le gras tout court, mais ce que le régime (si l'on ose dire) attend maintenant du citoyen responsable, c'est qu'il mange son sandwich sans viande – en attendant que ce soit sans pain (et bien entendu sans conduire, sans marcher, sans émettre de CO2, sans tenir des propos racistes, sexistes ou homophobes et sans soustraire ses revenus au fisc).

Le sandwich sans viande est donc aux bobos-écolos ce que la crème à la crème est aux Normands, à cette différence près qu'à notre connaissance, aucune pétition n'a encore été lancée pour promouvoir la crème dans notre alimentation. (Nous suggérons cette idée à tout hasard, au cas où l'un ou l'autre candidat aux prochaines élections fédérales souhaiterait obtenir notre voix…) En revanche, la presse nous affirme qu'une «pétition nationale Alimentation durable 2020», disponible sur internet, réclame de réduire la consommation de produits d'origine animale et d'augmenter la consommation de plats végétariens et végétaliens. L'argumentation des auteurs vaut son pesant de cacahuètes au saindoux: «Au cours des dernières décennies, notre société a adopté un mode d'alimentation accélérant le réchauffement climatique, aggravant la faim dans le monde et la pénurie d'eau. […] Ce mode d'alimentation ne garantit pas une sécurité d'approvisionnement suffisante, est nuisible à la santé et contraire au principe constitutionnel de la dignité de l'animal.»1

Le plus effrayant est qu'il y a autour de nous, autour de vous, des gens qui ne voient pas ce qu'il y a de monstrueux dans tout cela. Entre les djihadistes qui menacent de transformer le monde en une vaste boucherie et les végétalistes qui veulent nous obliger à avaler toutes leurs salades, notre avenir paraît aussi sombre que celui des dinosaures à la fin du Crétacé2.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2016, 17 avril 2015)

 

1 On remarque qu'il n'est question que des produits d'origine animale. Les auteurs de la pétition veillent ainsi à éviter tout amalgame avec le cannibalisme.

2 Période géologique qui a suivi le Jurassique et s'est terminée il y a environ 66 millions d'années. On ignore si elle doit son nom aux nombreux crétins qui y vécurent, mais à tout prendre, nous préférons passer pour des dinosaures.

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