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Comm' quoi…

Une nouvelle formation postgrade en «rédaction stratégique de communication» a vu le jour en Suisse romande. Le journal de la Fédération des entreprises romandes à Genève y consacre un article expliquant l'évolution de cette science: «L'entreprise a accru le périmètre de sa prise de parole», notamment «vers la fin des années 1980 avec le développement de la communication environnementale». Puis «le mouvement éthique s'est greffé sur cette tendance au milieu des années 1990, où l'entreprise rêvait de citoyenneté et propageait des valeurs de solidarité». Il est question du «discours des organisations privées ou publiques qui se remet en cause»; des «nouvelles thématiques propres à mieux façonner une image capable de faire parler et de faire vendre»; de la «construction de ce discours repensé, recomposé, redéfini pour correspondre aux préoccupations de l'époque»; mais aussi de «la nécessité d'une ligne éditoriale claire et qui valide un positionnement réfléchi», et des «nouvelles exigences en matière d'éthique ou de "comportement citoyen"». Pour conclure: «Une entreprise se présente désormais comme un carrefour d'audiences.»

Toi y'en a pas compris? Alors moi y'en a t'expliquer.

D'un côté, il y a des entreprises dont les responsables ne sont pas très à l'aise avec la com', et qui ont l'intelligence de ne pas s'y lancer, préférant se concentrer sur ce qu'ils savent faire. Ils mettent depuis des années la même publicité dans le journal local et leur modeste site internet n'indique que leur domaine d'activité et leurs coordonnées, avec quelques photos. Les contacts avec la clientèle se font au café et dans les sociétés locales. Et si le patron sait y faire, ça peut très bien tourner.

De l'autre côté, il y a les entreprises hyper-dans-la-modernité, dont les managers sont des communicateurs. Souvent ils ne créent rien, n'ont pas grand chose à vendre, ou du moins pas grand chose d'intéressant, mais ils réussissent à fourguer n'importe quoi à n'importe qui, juste en communiquant. Ou alors ils ont engagé des communicateurs externes qui font le même travail pour des dizaines d'entreprises différentes. Ces gens s'adressent à vous comme si vous étiez des radins («Pas cher», «Moins cher que chez les autres»), voire des radins malpropres («Sale»), mais aussi des bobos écolos («Nos avions émettent 22% de CO2 en moins», «Nos bancomats sont alimentés par du courant écologique»); dans tous les cas, on vous considère comme des individus communs, quelconques, fades, inintéressants car conformes à la masse. Les seules variations concernent la forme de cette communication, qui évolue avec la mode (d'où l'utilité de la formation citée plus haut).

Entre deux, il y a les perles rares, les entreprises qui vendent quelque chose d'utile en communiquant de façon intelligente, amusante, originale. Le patron y imprime sa personnalité, en se fichant des modes et des théories de marketing. Si ça plaît à quelqu'un, alors ce quelqu'un (intelligent et original) deviendra client. Les autres peuvent passer leur chemin. De tels patrons ne deviendront sans doute pas riches; en revanche, ils pourront s'éviter les frais d'une formation en rédaction stratégique de communication, parce qu'ils trouveront par eux-mêmes de bonnes idées que personne ne leur aura soufflées.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2015, 3 avril 2015)