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Noms d'oiseaux

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Les ornithologues suédois, après avoir répertorié 10'709 noms d'oiseaux, ont dû modifier ceux d'entre eux dont on jugeait qu'ils étaient susceptibles de présenter une connotation raciste. La nomenclature utilisée jusqu'ici contenait en effet une alouette nègre, un istiophorus cafre, une sarcelle hottentote ou encore un zigenarfagel (oiseau tsigane). On croit savoir que la chouette lapone (rien à voir avec une chouette Lapone qui lirait par hasard ces lignes) a échappé à cette épuration ethnico-linguistique.

Ne gloussez pas de rire: face à ceux qui, comme vous, se gaussent de cette opération  oiseuse, il se trouve tout de même des têtes de linotte pour affirmer sentencieusement qu'elle est opportune et même nécessaire car, contrairement au ridicule, le racisme tue. On l'a vu aux Etats-Unis où la police de Fergusson s'adonnait à la chasse à de drôles d'oiseaux.

La démarche d'ornithopurification est donc lancée et on ne doute pas qu'elle va donner des ailes à ceux et celles qui luttent contre toutes les formes de discriminations. Le féminisme n'y trouvera que médiocrement son compte, car ce sont plutôt les noms masculins qui font défaut. On ne parle pas d'alouet, ni de mouet, ni d'outard. Hirondeau existe mais reste peu usité, tandis que tourtereau fait référence à l'âge et non au genre. Le seul champion de l'égalité est le bécasseau, qui cohabite très épicènement avec la bécasse. Mais quel serait le féminin de coucou? Coussecousse? Et de faucon? (Ce n'est pas ce que vous croyez : fauconne existe!) Goélande, en revanche, ferait un joli prénom. On notera encore que le respect des handicapés voudrait qu'on parle de canarde plutôt que de canne – surtout si le mari de cette dernière est un canard boiteux – et aussi qu'on mette à l'index ce poème scandaleux où Baudelaire se moque de l'albatros au sol, cet infirme qui volait. Quant à la sterne naine, on devrait se contenter de dire qu'elle est de taille modeste. Enfin, l'effort de rapprochement des classes sociales amènera peut-être à débaptiser le grand-duc – qui bout d'indignation à cette idée. Faut-il y voir un cygne des temps?

Rassurez-vous, nous ne parlerons pas ici de toutes les espèces qui volent, surtout si elles sont protégées – après tout, ce ne sont que de petits larcins qui ne justifient pas que l'on déclenche le plan Epervier. Mais nous conclurons sur un appel à la tolérance religieuse envers tous ceux qui croassent en l'un ou l'autre dieu: ne répétez pas comme des perroquets que les gypaètes barbus sont des rapaces.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2014, 20 mars 2015)