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Le flic qui fait peur

C'est reparti comme en nonante-deux! En plus calme toutefois. Le soir du dimanche 9 février, le président de la Confédération a tenu des propos mesurés, dignes de sa fonction. La radio-télévision d'Etat, à tout le moins dans ses bulletins d'information, s'est efforcée de donner l'impression qu'elle respectait tous ceux qui contribuent à son financement. On a même vu le présentateur du téléjournal interroger le commissaire européen Manuel Barroso sur un ton batailleur, coupant effrontément la parole à son interlocuteur pour le bombarder de questions impertinentes – à défaut d'être très pertinentes.

En revanche, là où ça craint vraiment, c'est du côté de… la police!

M. Olivier Guéniat, chef «people» de la police judiciaire neuchâteloise, inlassablement courtisé par les médias pour y expliquer que les criminels sont ainsi parce que la société ne les aime pas assez, que les gens qui se font agresser dans la rue ne sont victimes que de leurs peurs profondes suscitées par les discours de l'UDC, et que les statistiques montrent formellement qu'il y avait davantage de morts en juin 1940 en Alsace qu'à Lausanne en janvier 2014, M. Olivier Guéniat, donc, s'est complètement lâché dimanche dernier sur un blog où «les chroniqueurs du Matin se donnent rendez- vous pour exposer leurs idées».

D'«idée», M. Guéniat n'en a exposé aucune, se contentant plutôt de donner libre cours à ses peurs les plus profondes. Il y raconte qu'il a fait «un vrai cauchemar» dans lequel Jean- Paul Sartre lui murmurait à l'oreille: «Ils ont les mains sales…»; puis il voyait dans un train «la moitié des gens avec les mains sales, 50,3%, leurs paumes étaient devenues brunes». Oh, cher Olivier, vous aussi avez un problème avec les gens qui ont la peau foncée? Et encore: «Le cauchemar, éveillé cette fois, a continué: tous les extrémistes de droite et les fachos en Europe félicitaient la suisse pour son vote xénophobe et raciste. La honte! Je me suis dit que c'est tellement la grosse honte que cette suisse-là mériterait la gifle, la grosse baffe de la clause guillotine. Et dire que parallèlement on crie «mort aux Juifs» dans des manifs fascisantes anti-LGBT à Paris. Ça fait quand même peur, non? Ça rappelle quand même une certaine époque nauséabonde, non?»

Ce qui fait peur, c'est plutôt de voir un chef de la PJ qui boucle ses enquêtes en faisant des parallèles douteux, en accordant foi à des rumeurs, en déformant les faits selon ses phobies. Réaliser que des agents armés, dépositaires de la force publique, c'est-à-dire autorisés à exercer la force et la contrainte sur les citoyens, sont dirigés par un bonhomme incapable de maîtriser ses nerfs, qui disjoncte complètement à la première contrariété et insulte la population publiquement en signant «chef de la police judiciaire», ça, oui, ça fait peur.

Concrètement: peut-on encore se déplacer sans crainte à Neuchâtel ou doit-on dorénavant se planquer sous un porche à chaque fois qu'on y croise une voiture de la police?

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 21 février 2014)