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Feuille d'Avis de Lausanne, 3 octobre 1969

Le site internet Scriptorium (http://scriptorium.bcu-lausanne.ch) a été créé récemment par la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) afin de mettre à disposition du public des collections complètes de journaux vaudois anciens et actuels, patiemment et minutieusement scannés. En attendant d'autres titres, on y trouve d'ores et déjà les quotidiens 24 heures (autrefois Feuille d'avis de Lausanne) et Le Matin.

Il est fascinant de pouvoir ainsi, confortablement installé dans son salon, se plonger dans la lecture d'anciens journaux. Pas forcément très anciens, d'ailleurs: que se passait-il, par exemple, le jour de notre naissance? Nous nous sommes amusés à retrouver l'édition de la Feuille d'avis de Lausanne du vendredi 3 octobre 1969.

La première chose qui nous frappe est la quantité importante de publicités et d'annonces: sur soixante-six pages, dix-huit seulement sont rédactionnelles. Il est vrai que les supports publicitaires étaient alors moins nombreux et variés qu'aujourd'hui.

Ensuite, en parcourant quelques titres, certains nous semblent étonnamment actuels: A la bourse de Francfort, seul le franc suisse reste en hausse. Ou celui-ci: La compétitivité de l'économie française: des conclusions plutôt alarmantes. Ou encore: Des prêtres libéraux font scandale à Rome.

Déjà à l'époque, on parlait beaucoup de l'Europe institutionnelle. Par exemple: Le torchon brûle entre Bonn et Bruxelles (Berlin, faut-il le rappeler, n'est redevenue capitale qu'après la réunification de l'Allemagne). Mais aussi un article intitulé La commission de Bruxelles insiste, qui explique que «la commission de Bruxelles a invité jeudi les six pays du Marché commun à ouvrir dès que possible des négociations avec la Grande-Bretagne, l'Irlande, le Danemark et la Norvège en vue de leur admission dans la CEE».

Les pages internationales nous replongent cependant dans des épisodes moins présents à notre esprit. Notre continent vivait des crises (Gibraltar: la marine espagnole a jeté l'ancre face à la Royal Navy). La Grèce faisait parler d'elle, non pour le chaos de son économie mais pour le caractère jugé infréquentable de son «régime des colonels» (La Grèce et le Conseil de l'Europe: on s'achemine vers l'exclusion). L'époque voyait se répandre les armes nucléaires (Malgré le risque de provoquer un séisme ou un raz de marée, les Etats-Unis ont procédé à une colossale explosion atomique). En fin de journal, on nous présente Olof Palme, «nouvelle étoile du socialisme européen».

En Suisse, il était question du «quatrième rapport agricole» – qui affirmait que «les revenus paysans sont restés parallèles à ceux de l'industrie» – ou encore de «la surprenante initiative A.V.S. des bourgeois» qui, si l'on comprend bien, posait les prémices de la prévoyance professionnelle obligatoire. Les gauchistes commençaient à descendre dans la rue (Genève: condamnation d'un caporal objecteur de conscience. Trois cents manifestants réclament un service civil – parmi lesquels «le maire de Genève […], quelques députés et conseillers municipaux […] et un groupe d'anciens professeurs et de pasteurs de Lausanne et Genève») et les pédagogues modernes à sévir (Les devoirs à domicile des écoliers sont un mal nécessaire à condition d'être intelligemment répartis et bien dosés).

Heureusement, on trouve encore des journalistes critiques face aux germes de la décadence moderne. Un article de Bernard Bellwald se moque ainsi cruellement de la 6e Biennale de Paris au Musée d'Arts modernes, où des «artistes» invitent les visiteurs à maintes expériences cucul la praline: «Comme la contestation de notre société nous est apparue déprimante et primaire! […] Autant de prétendues créations artistiques. De l'infantilisme sans imagination.»

Et chez nous, c'était encore le bon vieux temps, celui du bon sens et de la raison. A Orbe, apprend-on, deux personnes ont été acquittées par la justice: la première est un paysan accusé d'avoir pollué les eaux de l'Arnon par l'écoulement d'une fosse à purin, mais dont il a été prouvé que sa responsabilité n'était pas engagée; l'autre est un automobiliste français de Jougne qui avait renversé à Yverdon une fillette de sept ans «qui traversait inopinément la chaussée», et dont le tribunal a considéré «qu'il n'avait pas commis de contravention de la circulation». Impensable de nos jours, où l'on ne tolère plus d'accident sans coupable!

On lit encore que Renens s'apprêtait à inaugurer son comptoir Suburba 69 – l'article est accompagné d'une photo irréellement idyllique de calmes immeubles locatifs dans l'Ouest lausannois – et que, présidé par M. Paul Chaudet, un comité d'action se chargera de l'achat de «Verte-Rive» à Pully.

Terminons avec quelques informations économiques. Voitures neuves: les Suisses achètent plus cher. Spreitenbach: bientôt un vaste shopping center (aujourd'hui, c'est tellement banal qu'on ne vous en parle que si c'est à moins de cinq cents mètres de chez vous). Et cette nouvelle qui permet de méditer sur l'évolution des transports en quarante ans: «Grâce à l'introduction d'un vol express sur DC-8-62 de Swissair, il sera possible, à partir du 1er novembre prochain, de relier Zurich et Tokyo en huit heures, au lieu de onze comme jusqu'ici. Ce vol sera hebdomadaire et ne fera escale qu'à Bombay, Bangkok et Hong-Kong. […] Le DC-8-62 peut transporter 147 passagers.» La durée de vol indiquée paraît difficilement crédible; actuellement, les Airbus A340 de Swiss, avec deux cent vingt passagers, mettent plus de onze heures sans escale.

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Vous aussi, profitez de ce travail considérable réalisé par la BCU. Allez consulter les journaux d'une date qui vous tient à cœur, ou de n'importe quelle autre au hasard, histoire de reconstituer dans votre esprit l'évolution du monde proche et lointain tout en vous laissant surprendre par la rapidité ou la lenteur de l'écoulement du temps.

(La Nation du 3 mai 2013)

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