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Considérations désabusées sur un minoritaire qui convainc une majorité avec une proposition nulle

Au départ, on aurait pu penser que le patron de l'entreprise Trybol n'en avait vraiment pas. Après avoir perdu pas mal d'argent dans la débâcle de Swissair, il lance en tant que petit patron – qualité négligeable sinon méprisable aux yeux des médias et des masses populaires – une initiative populaire visant à accroître les droits des actionnaires – catégorie suspecte voire pendable aux yeux des médias et des masses populaires –, initiative fondée davantage sur la frustration que sur la réflexion – dérive rédhibitoire aux yeux des personnes sensées – et qui, selon une formule imagée, «tire au canon sur des mouches en visant à côté». Certains comparent M. Thomas Minder à Guillaume Tell; on n'aimerait pas être à la place de son fils.

Et pourtant, tout porte hélas à croire que M. Minder en aura, du bol. D'abord parce qu'il a eu la prudente hypocrisie de ne pas intituler son initiative «pour les actionnaires» mais «contre les rémunérations abusives»; ce titre trompeur plaît autant aux masses populaires qu'aux médias. Ensuite parce que le bon peuple déjà indigné a trouvé une nouvelle occasion de s'indigner, deux semaines avant la votation, en apprenant que M. Daniel Vasella avait failli toucher septante-deux millions de francs en quittant le conseil d'administration d'une société dont le chiffre d'affaires en compte plus de cinquante milliards. Ces septante-deux millions, que M. Vasella promettait de verser à des œuvres d'utilité publique (aurait-il pensé à la Ligue vaudoise?), ne seront finalement pas payés; ils ne profiteront à personne d'autre mais la morale sera sauve. Et malgré cela, les gens se défouleront en votant oui à un texte auquel la plupart d'entre eux ne comprennent que pouic, juste pour donner un signal fort. Les riches continueront à être riches mais M. Minder se sentira vengé de ses déboires financiers et aura réussi à se faire une publicité à bon compte que bien d'autres petits patrons pourront lui envier.

Ce qui laisse un goût amer, dans cette affaire, ce n'est pas tant les répercussions potentiellement négatives sur un nombre indéterminé de sociétés privées, ni même l'affligeant populisme anti-riches véhiculé par les médias d'Etat (dont les dirigeants n'ont guère de souci à se faire puisque leurs «actionnaires» ne sont que des contribuables qui n'ont pas voix au chapitre; à quand une initiative Minder anti-Billag?). Non, ce qui apparaît vraiment injuste, c'est qu'un quidam alémanique puisse, hors de toute logique arithmético- sémantique, convaincre une majorité de citoyens en ne s'appelant pas Mehr mais Minder.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 22 février 2013)