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On n'a plus besoin d'un plus petit que soi

Nous avons en Suisse des politiciens ouvertement racistes, et cela fait froid dans le dos.

Nous ne pensons pas ici au conseiller d'Etat valaisan Oskar Freysinger, que la presse romande a accusé de nazisme parce qu'il possède dans sa cave un drapeau de l'armée allemande d'avant 1918. Les journalistes qui ont mis au point cette opération de manipulation ont écrit «emblème du IIe Reich» en sachant bien que le public pressé lirait «IIIe Reich»; et à ceux qui devaient malgré tout percevoir l'anachronisme, ils ont expliqué que ce drapeau avait été «récupéré» récemment par les néonazis. En réalité, s'il fallait faire disparaître de la planète tous les drapeaux – y compris officiels – que l'on aperçoit dans des rassemblements qualifiés d'extrême-droite, les marchands de tissus auraient du souci à se faire. Juste pour rire: imaginez la gabegie le jour où des néonazis s'amuseront à «récupérer» le drapeau arc-en-ciel dont se servent – mais ne pourraient alors plus se servir – les pacifistes et autres «minorités» militantes!

Bref, ce n'est donc pas de cela que nous voulons vous parler. Car le politicien qui nous fait honte aujourd'hui, c'est M. Roger Nordmann. Celui-ci, avec vingt-quatre cosignataires, a déposé au Conseil national une initiative parlementaire exhalant des relents de discrimination, de racisme et de ségrégation sociale. En effet, revendiquant la fin de la double majorité, c'est-à-dire la suppression de la représentation des cantons dans les votes populaires constitutionnels, M. Nordmann s'indigne de ce que, actuellement, «un Appenzellois de l'intérieur a 44 fois plus d'influence […] qu'un Zurichois».

Comment ne pas être choqué par ces propos faussement anodins qui, en stigmatisant les seuls habitants d'Appenzell, banalisent le mépris de leur mode de vie et alimentent les préjugés les plus éculés à leur égard? Comment ne pas percevoir que ce vernis de scientificité mathématique derrière lequel se retranche M. Nordmann dissimule en réalité une instrumentalisation de l'arithmétique visant à enfermer une communauté cantonale dans sa seule dimension quantitative? Le fait qu'un demi-canton peuplé de demi-portions ait droit à une demi-voix apparaît-il donc excessif aux yeux de ceux qui s'auto-proclament «égalitaires»? Et pourquoi cette comparaison avec Zurich? Les citoyens du canton le plus riche doivent-ils constituer la norme de l'«Helvète moyen»? La Suisse des banquiers et des assureurs doit-elle écraser celle des fromagers et des joueurs de hackbrett? Faut-il que les forts deviennent toujours plus forts et les faibles toujours plus faibles? Car tel est l'aboutissement de la logique égalitaire, qui refuse toute discrimination positive et s'oppose à des quotas d'Appenzellois dans les conseils d'administration des entreprises. Mettre un petit chauve avec une boucle d'oreille sur un parfait pied d'égalité avec un grand blond aux yeux bleus, c'est donner l'avantage au second tout en feignant d'être équitable.

A la Suisse limmatocentriste de M. Nordmann, nous préférons une Confédération de la diversité plurielle! Aidons les Appenzellois à dépasser leur taille critique! Halte à la discrimination des mi-grands!

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 5 avril 2013)