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Changements de la cyberadministration, baisse des impôts, immuabilité de ceux qui nous le disent

Nous voyons passer dans notre courrier une brochure intitulée Smart gouvernance, signée par les Dr. Xavier Comtesse et Giorgio Pauletto, Observatoire technologique, CTI, DCTI, Genève. Ne nous demandez pas ce que signifie ce charabia. Nous ouvrons l'ouvrage et y lisons un ample verbiage creux et pédant – apte à impressionner un lecteur facilement impressionnable – sur les mutations profondes et les formidables défis qui se présentent aux administrations publiques en relation avec l'expansion d'internet.

Il y est question de collaborations inéluctables face à un internet qui n'a plus de frontières, d'acteurs qui n'appréhendent pas encore bien certains concepts, d'usagers qui participent à la création de nouvelles valeurs, d'administrés qui deviennent de véritables acteurs du changement. «Ainsi, plus personne ne sera en situation de faire face à une simple acceptation a priori de l'organisation sociétale mais sera amené à endosser véritablement les rôles a posteriori de co-auteur, co-responsable dans un environnement d'intelligence collective.» Il y a vingt-quatre pages de cette prose.

Explicitationnons cela d'une façon un chouïa plus compréhensionnable: on nous explique qu'après la mise en ligne de documents administratifs, puis la personnalisation de certaines transactions électroniques avec les administrations, ces dernières vont se trouver confrontées à la phase du participatif, où les citoyens peuvent donner leur avis et influencer certaines décisions, et à celle du transformationnel, dans laquelle tout un chacun aura une force de co-création permettant de modifier profondément la notion de bien commun en redistribuant largement les rôles entre l'administration et ses administrés.

Pour ce qui est des exemples concrets, les auteurs évoquent, entre autres trivialités et broutilles insignifiantes, la possibilité de consulter, voire de «personnaliser» son dossier médical sur internet – de le bidouiller aussi? – ou encore la «réalité augmentée», c'est-à-dire la contribution des citoyens à des bases de données touristiques, routières ou écologiques… qui n'ont strictement rien à voir avec des services administratifs.

Bref, un océan infini de vide absolu.

Ce qu'on en retient de positif, c'est que les citoyens pourraient devenir non plus des victimes mais des acteurs de l'administration, en d'autres termes faire eux-mêmes le boulot, ce qui devra logiquement aboutir à une diminution massive des impôts. Nous insistons: massive!

Mais avec qui débattrons-nous de cette intéressante question? Car cette publication si savante sur la participation des citoyens, outre qu'elle n'est pas datée, ne contient aucun impressum, aucune adresse de l'éditeur, ni électronique ni même postale, qui permettrait de participer au débat. Le monde change, l'administration change, mais les experts occupés à penser le monde et l'administration de demain ne changent pas: ils ne s'intéressent pas à de vulgaires détails administratifs.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 6 avril 2012)