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Football et police fédérale

Les compétitions de l'«Eurofoot» se sont finalement déroulées sans incident notable. Les seuls à ne pas s'en réjouir seront sans doute ceux qui, dans le seul but d'étayer leurs théories, espéraient voir la Suisse confrontée à de graves désordres et pointée du doigt sur la scène internationale. «La Suisse incapable d'assurer seule sa sécurité.» Ainsi titrait L'Hebdo du 29 mai dernier, donnant la parole à un ancien commandant de police bâlois qui plaidait – c'est original! – en faveur de la création d'un détachement fédéral de police. Et d'ajouter sournoisement: «Ou intercantonal pour éviter le traumatisme de la votation négative de 1976.»

L'idée est de créer un détachement de policiers – on a parfois parlé d'un millier – affectés normalement à diverses polices cantonales mais payés en partie par la Confédération et donc mobilisables par elle en tous temps. L'objectif serait de pouvoir engager facilement ces policiers sur des événements d'une certaine importance pour lesquels les polices cantonales concernées n'ont pas des effectifs suffisants. Les ordres viendraient de la Confédération et il s'agirait donc bien d'un corps fédéral et non «intercantonal», quelle que soit sa dénomination officielle.

Le fait est qu'à l'heure actuelle, dans de telles circonstances, les cantons – et parfois aussi les Etats – se «prêtent» des policiers. Entre certains cantons proches, ce genre de collaboration est institutionnalisé et habituel; il existe par exemple un «Groupement romand de maintien de l'ordre» dirigé par le commandant de la police fribourgeoise. Avec d'autres collectivités, cela demande peut-être quelques procédures particulières et quelques arrangements juridiques – mais rien d'impossible puisque cela se fait. Pour la sécurité de l'«Eurofoot», la Suisse a ainsi bénéficié du renfort de plusieurs centaines de policiers français et allemands.

Ces collaborations ponctuelles posent-elles des problèmes? Si c'est le cas, il faut qu'on nous explique lesquels et qu'on cherche des solutions – autres que de créer un nouveau corps de police fédéral. On nous dit que la Suisse n'a pas les «ressources humaines» nécessaires pour assurer la sécurité d'un événement comme l'«Eurofoot». Or il s'agit d'une manifestation exceptionnelle pour laquelle il n'y a rien d'anormal ou de déshonorant à requérir l'aide d'Etats voisins.

La vraie question est de savoir s'il manque des policiers en temps normal. C'est possible. Certains cantons n'ont pas réussi à engager les effectifs qu'ils désiraient, faute de candidats, tant il est vrai que le métier de policier n'est pas des plus attrayants dans la société actuelle. Mais ce problème ne se résoudra pas par la création d'un détachement fédéral, qui aura les mêmes difficultés de recrutement et qui sera tenté de débaucher des policiers dans les cantons.

On nous fera peut-être valoir que des policiers engagés par la Confédération pourraient plus facilement être déplacés d'un canton à l'autre lors de circonstances exceptionnelles, en évitant certaines tracasseries administratives. Sans doute, mais en temps normal, c'est-à-dire la plupart du temps, la présence de policiers fédéraux au sein des corps cantonaux compliquera inutilement l'organisation de ces derniers. Rien qu'en matière de conditions salariales, on peut imaginer les problèmes que posera une telle cohabitation. Au bout de quelques années, on nous dira que tout cela est décidément trop compliqué et qu'il faut tout unifier.

(P.-G. Bieri, La Nation n° 1840, 4 juillet 2008)

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