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La pudeur du génie

La TSR, souvent connue sous le nom de Télévision socialiste romande, et la RSR, radio romande du même bord, sont devenues la RTS, symbole de la «convergence» de la radio et de la télévision, le «s» ne changeant probablement pas de signification. Pour autant, et tout à fait exceptionnellement, ce n'est pas des journalistes que nous médirons aujourd'hui.

Car l'apparition du sigle RTS a aussi entraîné l'apparition d'un nouveau logo, déjà dévoilé depuis un certain temps et désormais généralisé sur tous les supports matériels et immatériels du monolithe médiatique – à pensée unique, logo unique. On a sollicité les meilleurs spécialistes de la communication, les professionnels de l'image les plus pointus, les savants les plus chevronnés, imprégnés des découvertes scientifiques les plus récentes dans le domaine de la psychologie visuelle, afin de créer le logotype de la RTS. On ne s'est pas contenté d'un vulgaire travail de graphisme; on a positionné une nouvelle marque, créant ainsi un univers radiotélévisionsuissique d'exception, avec ses codes, ses repères, ses valeurs. Le blanc immaculé dans lequel apparaissent les trois lettres RTS symbolise la fin des discriminations et l'avènement d'un métissage parfaitement égalitaire. Le fond rouge-ketchup évoque tout à la fois les passions humaines, le socialisme, la tauromachie, la pizza surgelée, le logo de la compagnie aérienne Swiss et un drapeau helvétique terni par le rapport Bergier. L'ensemble s'inscrit dans un rectangle parfaitement rectangulaire, qui suggère l'horizontalité et la verticalité des relations professionnelles. Au terme d'une recherche existentielle sur la profondeur de l'âme humaine, les lettres ont été exactement alignées et centrés, exprimant ainsi la qualité et la régularité du travail accompli. La rigueur du T et la souplesse du S fusionnent avec force dans le R, proclamant les valeurs uniques qui définissent la nouvelle entité, à savoir l'engagement et l'esprit d'entreprise.

L'ensemble, chargé de sens au point qu'on pourrait y dissimuler tout un bulletin d'informations, trouve néanmoins sa perfection dans son dépouillement, poussé jusqu'au stade ultime où le logo ne ressemble plus à un logo: on dirait juste trois lettres posées dans un rectangle rouge. C'est là qu'on perçoit toute la pudeur du génie.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 9 mars 2012)