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Alterindigné

Pour alimenter la présente rubrique, ce ne sont pas les sujets d'indignation qui manquent. Le premier pourrait être le spectacle consternant qu'offre désormais le centre de la capitale dès la tombée de la nuit, avec les océans d'immondices qui jonchent les places publiques, les grappes de «jeunes» désoeuvrés qui puent la bière à quarante mètres de distance et poussent des hurlements entre chaque rot, les bagarres devant les bars bondés, les bouteilles qui volent parfois d'un côté à l'autre d'une rue et qu'il faut essayer d'éviter, les rugissements sourds des dizaines de puissantes limousines à bord desquelles les caïds locaux descendent et remontent la rue Centrale à près de 80 km/h. Lorsqu'on traverse en rasant les murs cette illustration de la fin de la civilisation et du retour à l'état sauvage, et que l'on confronte cette réalité aux cours ex cathedra que certains réussissent encore à tenir sur le rôle de la justice dans le fonctionnement de «l'Etat de droit», ou sur les bienfaits de notre croissance démographique, la colère l'emporte sur l'hilarité.

Ensuite, il y aurait l'école vaudoise, et la désinvolture révoltante avec laquelle un aréopage de piteux élus s'est laissé rouler dans la farine par le Département de l'éducation socialiste. La campagne en faveur de l'initiative «Ecole 2010» tombera donc pendant les vacances d'été et il n'en sera que davantage nécessaire de voter et de faire voter en faveur de cette initiative salutaire.

Mais tout cela, hélas, n'est ni nouveau, ni léger, ni drôle, contrairement à ce que le lecteur aimerait lire ici (et l'auteur écrire).

Il y aurait aussi beaucoup à dire contre les cyclistes qui infestent nos routes et nos trottoirs. Et contre les publicités télévisées, machiavéliquement synchronisées pour tomber au même moment sur chaque chaîne. ou encore sur un autre thème qui nous vient à l'esprit mais qui mériterait toutefois un certain développement et que nous préférons laisser de côté pour une prochaine édition.

Mais le plus grave, le plus injuste, le plus scandaleux, le plus inacceptable, c'est que l'on n'a désormais même plus le droit de s'indigner de tout ce qui précède, puisque l'adjectif substantivé «indigné» se trouve aujourd'hui exclusivement réservé à quelques bandes de glandeurs hirsutes qui trouvent vraiment trop injuste que le monde ne soit pas un vaste «Club Méd» où l'on passerait ses journées à rêvasser en contemplant ses orteils. Voilà qui nous coupe l'envie d'être indigné.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 17 juin 2011)