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Lexique de la guerre en Libye

On a déjà parlé ici de la guerre en Libye et de ses multiples implications pour le monde occidental. Il convient d'y revenir brièvement afin d'examiner les nouveautés lexicographiques qu'elle apporte à notre langue.

Désormais, on désigne comme «civils» des opposants à Kadhafi, habillés parfois en treillis militaire, armés de mitrailleuses Kalachnikov (voire d'avions de combat jusqu'au moment où ils ont eux-mêmes abattu par erreur le dernier qui leur restait) et qui se promènent dans le désert à bord de pick-up en tirant en l'air de joie lorsque passent des avions de la «coalition».

De même, on appelle «soldats» les partisans de Kadhafi, habillés parfois en treillis militaire, armés de mitrailleuses Kalachnikov (voire d'avions de combat dont la «coalition» nous annonce chaque jour qu'elle vient de détruire le tout dernier) et qui se promènent dans le désert à bord de pick-up en tirant en l'air peut-être, ou plus probablement en courant se mettre à l'abri, lorsque passent des avions de la «coalition».

Dans le même ordre d'idées, on utilise le mot «peuple» lorsque l'on parle des tribus de l'Est du pays, tandis que l'expression «partisans du régime» est employée lorsqu'il s'agit des tribus de l'Ouest. (Seul le manque de place nous empêche d'ouvrir ici un chapitre complémentaire sur la Côte d'Ivoire, pays où nous qualifions désormais de «président légitime» le représentant d'une moitié du pays, qui attaque la capitale avec ses troupes de pillards, et de «président illégitime» celui de l'autre moitié du pays, qui résiste à l'intérieur de la capitale avec ses troupes de pillards.)

On comprend par là que la distinction entre «amis» et «ennemis» n'est pas toujours facile pour les soldats de la «coalition» (terme désignant un assemblage de pays qui font la guerre ensemble mais sont en total désaccord sur ce qu'il faut entendre par «protection des populations civiles»). Les Suédois, eux, n'auront pas ce problème: ayant décidé – comme la Suisse – de redéfinir la notion de «neutralité» pour y inclure la possibilité de participer aux guerres menées par des pays puissants contre des pays faibles, ils annoncent maintenant l'envoi sur le théâtre des opérations de huit avions de combat… qui n'effectueront toutefois aucune «frappe au sol». Comme l'aviation libyenne ne vole plus et qu'il n'y a donc strictement rien d'autre à faire que des frappes au sol, les pilotes suédois pourront concilier leur mission avec l'acception traditionnelle de la «neutralité»: ils ne feront rien.

La conclusion que l'on doit tirer de ce qui précède est qu'il est urgent de voter en faveur de l'initiative «Ecole 2010», afin que les élèves qui deviendront demain journalistes, militaires ou politiciens remettent enfin leur nez dans un livre de vocabulaire.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 8 avril 2011)