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Facebook, victime de la barbarie révolutionnaire

Les mots de notre belle langue peuvent parfois désigner des réalités fort différentes. Prenez «le peuple», par exemple. En Afrique du Nord, on entend par là une foule sympathique de jeunes gens se pressant toute la journée dans la rue pour faire la révolution, abattre la tyrannie et instaurer une société plus juste, égalitaire, démocratique, ouverte et tolérante. Ils brandissent, pendus à une corde, des mannequins à l'effigie des anciens dictateurs, lynchent des policiers, pillent des magasins, tout ça dans une ambiance bon enfant. Ils écrivent aussi plein de messages sur Facebook et Twitter: «Ouah, je fais la révolution!» – «Ouah, moi aussi!» – «Ouah, cool!» Ces messages, rédigés en anglais, émeuvent les journalistes occidentaux qui ont l'impression de vivre un moment historique, comme dans ces beaux films américains où le Bien triomphe du Mal. Tel est le peuple, beau et révolté, dans les pays qui bordent le sud de la Méditerranée.

Ici en Suisse, et toujours si l'on se fie à la presse, «le peuple» est tout autre. Population de vieux schnocks rabougris, nains de jardin frileusement repliés sur leurs montagnes, leurs prés carrés, leurs cantons, leurs banques et leurs armes à domicile, dinosaures hostiles à l'Europe et aux minarets, rétifs au changement, très en retard sur la mode, la technologie et le progrès social. Regardez ce que nous montrent les dessinateurs de presse: ce sont eux, plus encore que les journalistes, qui nous font cruellement sentir à quel point nous sommes un peuple de vilains arriérés.

Cela implique, dans l'esprit de ceux qui font profession de nous expliquer le monde, que nous sommes de moins en moins aptes à la démocratie, contrairement aux peuples d'Afrique du Nord qui, eux, la méritent vraiment. Ils la méritent depuis longtemps, d'ailleurs, si l'on en croit les journalistes d'ici qui se bousculent aujourd'hui pour cracher à qui mieux mieux sur les vilains dictateurs arabes, mais qui se pâmaient d'admiration, dans les années soixante et septante, lorsque ces mêmes dictateurs étaient de jeunes et fringants révolutionnaires socialistes chassant les anciennes féodalités pour les remplacer par des régimes démocratiques modernes. Au fond, la seule chose qui a changé depuis lors, c'est Facebook.

Quoique… même pas. A l'époque, des parents mal inspirés s'amusaient à donner à leurs enfants des prénoms tirés des acronymes d'organisations révolutionnaires. Aujourd'hui, on apprend qu'un couple de jeunes Egyptiens ont appelé leur petite fille… Facebook! C'est effarant. Comment t'appelles-tu? – Facebook M'sieur! Et cette pauvre créature va devoir maintenant traîner ce prénom idiot toute sa vie, victime de la barbarie du peuple.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 11 mars 2011)