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Juste un peu trop

En ce début de printemps où il fait beau, où les oiseaux chantent et où les gens sont contents – quelle horreur! –, les sujets de râlerie ne manquent pas. Pourtant, aucun ne parvient à nous convaincre aujourd'hui de son opportunité – mot dont le lecteur se souviendra opportunément qu'il n'est pas un synonyme d'«occasion».

On pourrait par exemple écrire sur l'Eurofoot; mais on a le sentiment qu'il y a juste un peu trop de monde qui commence à en parler pour que l'on puisse en dire quelque chose d'original. On pourrait écrire sur les manifestations du 1er mai; mais à part relever qu'à Lausanne, où la police est dirigée par un édile communiste, seuls six casseurs ont été interpellés, contre plus de trois cents à Zurich, on ne voit pas bien comment développer ce thème: c'est juste la même chose chaque année. On pourrait reprendre le sujet des ours, mais on en a déjà parlé et cela devient juste un peu dangereux – non pas à cause des ours mangeurs d'hommes mais à cause des écologistes vengeurs d'ours. On pourrait parler du War Requiem de Benjamin Britten donné récemment à la cathédrale de Lausanne, qui était juste un peu long mais finalement trop harmonieux pour qu'on en dise du mal ici. On pourrait enfin évoquer une nouvelle fois l'infernal site internet Facebook, dans lequel même les meilleurs finissent par sombrer; mais peut-être n'est-ce juste pas le moment?

Puisqu'aucun de ces sujets n'emporte l'adhésion, nous consacrerons donc le dernier paragraphe de cette chronique à protester contre l'usage récemment remarqué, probablement abusif – encore qu'on n'en trouve aucune condamnation dans les dictionnaires –, certes amusant mais néanmoins souvent excessif, voire inopportun, du mot «juste» dans le sens adverbial de «vraiment» ou «complètement», habitude particulièrement prononcée chez nos amis genevois. A défaut de pouvoir affirmer que c'est «juste tout faux», nous n'en pensons pas moins que c'est juste un peu trop.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 1836, 9 MAI 2008)