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Activité en deçà du Jura, grève au-delà

Il existe des endroits où, curieusement, on se sent tellement heureux que l'on a bien de la peine à trouver des motifs de se plaindre, ce qui n'aide pas à alimenter la présente chronique. Lorsqu'on revient en terre vaudoise et en particulier dans la capitale, l'inspiration soudain revient aussi – hélas pour le Canton, ou heureusement pour La Nation, c'est selon. Mais cela ne se vérifie pas tous les jours, ni avec une régularité exemplaire, et les délais de publication prennent parfois l'auteur au dépourvu.

Il est en revanche un pays, paraît-il, où de tels soucis n'existent pas et où les raisons de râler sont si nombreuses qu'elles suffiraient à noircir seize coins de page de La Nation à un rythme quotidien. C'est du moins l'avis de personnes autorisées qui, après avoir connu notamment la Suisse, l'Italie, l'Allemagne et les Etats-Unis, partent s'établir en France. Ils y pestent de devoir attendre plus d'un mois pour obtenir un raccordement téléphonique et une connexion internet, trois mois pour ouvrir un compte bancaire, d'y découvrir des appartements très sales dans des villes affreusement sales et pleines de détritus et de déjections – animales ou non –, et surtout d'y rencontrer des indigènes qui considèrent qu'il n'y a rien à améliorer dans leur pays, devenu parfait à la Révolution. Comme on le sait, les grèves s'y succèdent tout au long de l'année pour des motifs des plus futiles, les décisions politiques et administratives étant suffisamment nombreuses pour fournir les prétextes nécessaires. Cette inactivité doit cependant se révéler harassante puisque les Français estiment inhumain qu'on puisse leur imposer cet exercice au-delà d'un âge de soixante ans et d'une durée de trente-cinq heures par semaine (dans le meilleur des cas). Entre chaque congé, ils refusent donc de travailler afin de revendiquer le droit de travailler un peu moins.

Reste à savoir si ces considérations peuvent nous être utiles dans notre lutte opiniâtre contre l'«îlot de cherté» suisse, et en particulier par rapport à l'idée déjà développée ici d'importer des conseillers fédéraux moins chers de l'étranger – de Dijon par exemple. La perspective de profiter d'un exécutif helvétique constamment en grève apparaît plaisante dans la mesure où cela pourrait nous épargner de nombreuses nouvelles lois, ordonnances et directives fédérales. Mais comment expliquer alors que la classe politique hexagonale soit non seulement plus dispendieuse, mais aussi plus prolixe que la nôtre? Se pourrait-il que les produits étrangers moins chers, mais très chers au cœur de Mme Leuthard, soient en définitive plus chers?

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 22 octobre 2010)