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La babibouchette est inéluctable

Nous avons déjà dit ici tout l'agacement que nous cause le nom de la station de métro «Riponne-Maurice-Béjart». En attendant de poursuivre sur la même voie – si l'on peut dire – avec «Ouchy-Jean-Pascal-Delamuraz», «Gare-CFF-Moritz-Leuenberger» ou «Fourmi-Le-Ronchon», quelques esprits espiègles ont récemment lancé l'idée d'une station «CHUV-Albert-le-Vert». Pour ceux qui se précipiteraient déjà sur leurs manuels d'histoire, précisons qu'Albert le Vert est une babibouchette qui a connu son heure de gloire – sa première heure de gloire, donc – au début des années nonante à la Télévision suisse romande.

Le désir de rebaptiser la station hospitalière d'un nom de chaussette, donc, est en train de prendre de l'ampleur. Un groupe a été créé sur le site internet Facebook; le nombre des membres y croît fermement. Une manifestation est prévue. Et puis quoi? Un assaut du Château? Un blocage de l'aérodrome? Pourquoi pas? Faut bien rigoler un peu.

Ce qui nous dérange, nous énerve, nous exaspère, voire nous horripile, c'est la manière dont les médias ont entrepris de donner un large écho à cette bonne blague, avec l'ambition assez nette de la transformer en un mouvement social, en une revendication sérieuse. L'article que 24 heures consacre à cette non-information commence par: «Cela aurait pu rester un gag…» Mais c'est un gag! Et cela doit le rester, sous peine de n'être plus drôle du tout.

C'est une bien fâcheuse contrariété de vivre à une époque où le comique fait office de politique, où la gaminerie constitue l'horizon ultime de la réflexion intellectuelle et où les références philosophiques ne dépassent pas le stade de l'école enfantine. Une époque où l'on ne distingue plus le sérieux du dérisoire et où la dérision elle-même, d'ailleurs, n'est absolument plus comprise, le «premier degré» apparaissant comme le seul accessible à la plupart des gens. Désormais, n'importe quoi devient possible; cela tend même à devenir la règle. «Riponne-Maurice-Béjart», qui aurait aussi dû rester une plaisanterie, est devenu réalité. Les Vaudois n'auront pas de nouveau musée mais ils auront une station de métro qui portera le nom d'Albert le Vert. C'est décadent mais inéluctable.

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 5 décembre 2008)