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«Ils décidèrent de changer le système des allocations familiales…»

Nous votons le 26 novembre sur la nouvelle loi fédérale sur les allocations familiales (LAFam), approuvée par les Chambres le 24 mars 2006. Cette loi prévoit des allocations d'au moins 200 francs par enfant et par mois dans toute la Suisse, ainsi que des allocations de formation de 250 francs par enfant et par mois. Le référendum a été lancé par les organisations économiques.

Des bébés souriants et de grands méchants loups

Dans la perspective de la votation, les opposants viennent de lancer une campagne plaisamment illustrée sur le thème des contes pour enfants. Chaque affiche commence par: «Ils décidèrent de changer le système des allocations familiales…» A chaque fois, le conte tourne mal: le grand méchant loup prend l'argent dans le panier du petit chaperon rouge, il détruit la maison que les trois petits cochons ont négligé de consolider, la méchante sorcière tend une pomme empoisonnée qui accroît la pression sur les salaires et les petits nains emportent de grands sacs d'allocations familiales hors du pays.

Il s'agit en l'occurrence de contrer ce que l'on pourrait appeler l'«effet bébé rose», exploité sans vergogne par les partisans du nouveau régime fédéral et complaisamment relayé par les médias: qui aura un coeur assez dur pour répondre non à un charmant bambin qui vous sourit sur des prospectus et vous demande juste quelques francs supplémentaires pour ses parents? Qui restera insensible à une future maman obligée de se serrer la ceinture pour boucler ses fins de mois? Qui résistera au mot «famille», étudié pour attendrir les coeurs et les portefeuilles et qui justifie absolument tout et n'importe quoi une fois qu'on l'a prononcé?

Une nouvelle loi fédérale inefficace, perverse…

Aider financièrement les familles pour les encourager à avoir plus d'enfants? Beaucoup de gens – et pas seulement à gauche – aiment se laisser séduire par cette idée. Sur le fond, on leur fera remarquer qu'il n'est pas sain que l'Etat paye les parents pour avoir des enfants, comme s'il s'agissait d'une charge à assumer au service de la collectivité. A supposer cependant que l'on veuille user d'une telle méthode, il faudrait beaucoup plus que 200 francs par mois – c'est le montant prévu par la nouvelle loi fédérale – pour provoquer l'effet voulu. Preuve en est le Canton du Valais, qui paye les allocations les plus élevées de Suisse mais connaît aussi le taux de natalité le plus bas. L'argument de la politique nataliste est à oublier.

Des allocations familiales existent aujourd'hui dans tous les cantons et atteignent en moyenne 195 francs 60 par enfant et par mois. Les moins bien lotis touchent au moins 160 francs. Pour la plupart des familles, la fixation d'une valeur minimale de 200 francs sur l'ensemble de la Suisse n'apporterait donc pas de gain financier substantiel. Au contraire, les cantons qui versent actuellement des allocations plus généreuses seraient incités à s'aligner sur la limite fédérale. Il ne faut pas oublier non plus les allocations complémentaires, allocations de naissance ou allocations pour familles nombreuses, prévues par plusieurs systèmes cantonaux – notamment dans le Canton de Vaud – et qui risqueraient de disparaître avec l'instauration d'un régime fédéral uniforme. Les partisans de la loi affirment vouloir aider les familles; mais combien d'entre elles, abusées par le discours trompeur des centralisateurs, verraient leur situation se détériorer?

Les cantons ne seraient guère encouragés à accorder plus que le minimum fédéral, mais on remarque toutefois qu'ils ne seraient pas empêchés légalement de le faire; certains le feraient assurément. On maintiendrait donc une bonne part de la «complexité» actuelle, avec ses différences si choquantes aux yeux des esprits égalitaires. L'argument de la simplification et de l'uniformisation tombe à son tour.

…et chère, bien sûr!

Ce gâchis aurait évidemment un prix. On l'évalue actuellement à quelque 600 millions de francs, à la charge de l'économie mais aussi des pouvoirs publics. Car les allocations familiales ne seraient alors plus considérées comme des compléments de salaires, mais comme des prestations publiques. Les indépendants n'y auraient pas droit, mais les personnes sans activité lucrative recevraient des allocations payées par les cantons. Les salariés à temps partiel toucheraient des allocations pleines et entières: une mère de trois enfants en formation qui effectuerait de petits travaux pour un salaire n'excédant pas 7000 francs par année recevrait ainsi 9000 francs supplémentaires d'allocations familiales. A cela s'ajouterait une augmentation importante des allocations versées à l'étranger, pour lesquelles le contrôle des conditions légales est souvent impossible.

Outre son inefficacité et ses effets pervers, le système fédéral que l'on veut nous vendre serait donc aussi fort coûteux. Il pèserait sur les finances des collectivités publiques et sur la masse salariale des entreprises. Il reste maintenant à convaincre les contribuables et les salariés qu'on leur reprendrait forcément d'une main ce qu'on leur donnerait de l'autre, et qu'il est dans leur intérêt de voter NON à la loi fédérale sur les allocations familiales.

(P.-G. Bieri, La Nation n° 1796, 27 octobre 2006)

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