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Regardez mon beau discours!

Pauvre point…

On ne dit plus rien, aujourd'hui, sans Power Point! Nom à prononcer avec l'accent américain pour montrer qu'on ne sait pas forcément ce que c'est mais qu'on en a déjà entendu parler. Power Point est un logiciel permettant d'afficher les divers éléments de votre discours sur l'écran d'un ordinateur mais aussi et surtout sur un grand écran blanc devant un parterre d'auditeurs ébahis, pardon: de spectateurs ébahis.

On connaissait jusqu'ici l'indispensable rétroprojecteur, sans lequel n'importe quel professeur devenait aussi muet qu'un Italien à qui on a attaché les mains. Mais Power Point permet aujourd'hui un luxe d'effets spéciaux dont on ne saurait plus se passer: les pages se suivent en de savants fondus-enchaînés, ou alors en des glissements acrobatiques, le nouveau tableau semble se dérouler, ou plutôt se déplier, surgir en quatre morceaux ou encore jaillir en une myriade de points comme un feu d'artifice. Trois ou quatre lignes de texte s'avancent vers le milieu de l'écran en changeant quinze fois de couleur, voire en culbutant ou en tournoyant sur elles-mêmes.

Trois ou quatre lignes? Guère plus… Car le conférencier a dû passer un temps considérable à préparer son exposé en consultant le manuel de Power Point pour trouver comment faire disparaître sa page de titre par petits triangles, ce qui ne lui a pas laissé le temps de rédiger beaucoup de texte. D'ailleurs la présentation avec Power Point ne se prête pas aux longs discours: il serait inconvenant d'afficher une page remplie de petits caractères que le conférencier et l'assistance mettraient dix minutes à déchiffrer!

Vous avez bien lu: le conférencier et l'assistance. Car si autrefois un orateur s'efforçait de ne pas montrer qu'il lisait un texte entièrement rédigé, c'est le contraire qui prévaut aujourd'hui: l'auteur de l'exposé lit son texte au fur et à mesure qu'il le dévoile à son auditoire, c'est-à-dire par groupes de trois ou quatre lignes. Rares sont ceux qui étoffent ces quelques lignes d'autres phrases, spontanées ou non: la plupart du temps, on se contente des trois ou quatre lignes qu'on a pu caser sur l'écran de Power Point, qui ne constituent généralement qu'une sorte de plan, qu'une table des matières, tout au plus l'ossature d'un raisonnement.

C'est un autre effet de Power Point: le discours se résume à un plan en x titres, chacun étant subdivisé en y points, lesquels comprennent le plus souvent z parties. Lesquelles parties n'ont pas de contenu puisqu'elles constituent elles-mêmes le contenu d'un titre supérieur. Tout discours se présente donc désormais sous la forme d'une structure composée de sous-structures décomposées en sous-sous-structures… vides.

On ne dit plus rien, aujourd'hui, grâce à Power Point!

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 19 mai 2000)