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Les vignerons-tâcherons menacés par une simplification législative

Le métier de vigneron-tâcheron est étroitement lié aux vignes de notre Canton, non seulement comme symbole de la Fête des vignerons mais aussi dans les relations professionnelles concrètes et actuelles. Le vigneron- tâcheron possède un statut particulier: il travaille pour le compte d'un propriétaire qui l'engage sur la base d'un contrat de vignolage et le rémunère en fonction de la surface d'une part, du prix de la récolte d'autre part. Le tâcheron n'est donc pas un salarié: il cultive le domaine qui lui est confié comme un indépendant, en organisant son temps de travail, en achetant ses machines et ses outils, en engageant éventuellement des ouvriers.

Ce statut est généralement apprécié des deux parties. Le vigneron est fier de son indépendance, qui lui permet parfois de s'occuper de plusieurs domaines. Le propriétaire se décharge des soucis pratiques liés à l'exploitation de son domaine et loue l'esprit d'entreprise et le travail de qualité de son tâcheron. La principale ombre au tableau est celle du prix du vin qui a considérablement baissé et qui met en difficulté certains propriétaires obligés de payer leur tâcheron alors qu'ils ne gagnent presque plus rien sur la vente de la récolte.

Une seconde menace s'est profilée ces derniers mois, absurde et inutile celle-là, et dont on espère qu'elle pourra être rapidement écartée. Les vignerons-tâcherons possèdent un statut particulier vis-à-vis des assurances sociales: ils versent euxmêmes la totalité de leurs cotisations mais se font rembourser par le propriétaire la part patronale des cotisations sur le salaire qui leur est versé. Ce statut d'«intermédiaire» est inscrit à l'article 37 du règlement relatif à l'AVS, lequel mentionne, outre les vignerons- tâcherons, les entrepreneurs privés de cars postaux. Le faible nombre de métiers concernés a incité l'administration fédérale à envisager la suppression pure et simple de l'article en question, dans un but de «simplification».

Dans le Canton de Vaud, ce n'est qu'incidemment que la plupart des personnes concernées ont appris l'existence de ce projet de suppression de l'article 37 RAVS. En examinant les choses de plus près, il apparaît pourtant que cette «simplification» législative entraînerait une complication bien peu souhaitable des relations professionnelles au sein de la viticulture. En effet, les caisses AVS seraient amenées à trancher de cas en cas si le vigneron-tâcheron doit être considéré comme un indépendant ou comme un salarié. Dans la majorité des cas, c'est probablement la seconde solution qui serait retenue. Le propriétaire serait alors considéré comme un employeur et donc obligé de déclarer les salaires de tous les employés de l'exploitation et de payer les cotisations correspondantes. Il en résulterait pour lui un surcroît de travail administratif et de responsabilité dans l'exploitation du domaine. Dans les cas où le tâcheron serait déclaré indépendant par la caisse AVS, les relations s'en trouveraient aussi modifiées, tant sur des questions techniques – par exemple par la nécessité de prélever la TVA – que dans le lien entre le propriétaire et son domaine.

Sur le fond, c'est la nature particulière des relations qui unissent les propriétaires et leurs vignerons qui se trouverait altérée, ainsi que le statut particulier du tâcheron agissant comme un indépendant tout en étant étroitement lié au propriétaire. Au nom des uns et des autres et par le biais des deux caisses AVS principalement concernées, une réponse ferme a été adressée à l'Office fédéral des assurances sociales, demandant que l'article 37 RAVS soit maintenu. On attend maintenant de savoir si l'administration cédera face à cette résistance organisée.

(P.-G. Bieri, La Nation n° 1807, 30 mars 2007)

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