Les cuistres et les jardiniers
La différence entre vert simple et vert compliqué
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Vous êtes en ville. Vous avez un espace sans béton ni goudron. Qu'y met-on? Il y a deux solutions.
La première: vous faites venir les jardiniers de la commune, et vous leur demandez d'arranger joliment ce coin. Ni une ni deux, ils y mettront des fleurs, des arbres peut-être, tout naturellement. Après tout c'est leur métier.
La deuxième solution: vous avez besoin d'un projet novateur, qui interpelle les citoyens, bref: du changement. Vous faites venir des spécialistes, des experts, des pros. De très loin si possible (comme dans les clubs de football). Vous leur promettez (et vous leur verserez effectivement) des salaires de ministres pour qu'ils se penchent sur vos espaces à remplir. Et les voilà partis pour expliquer devant des caméras, avec leurs accents qui zurichois, qui new-yorkais, et avec force gestes amples, force intonations théâtrales, avec un vocabulaire hermétique âprement acquis dans les facultés de sciences humaines, les voilà donc qui expliquent leurs démarches, leurs questionnements, leurs sentiments, leurs états d'âme, et que ça les chatouille et que ça les gratouille. Equipes pluridisciplinaires d'experts qui ne connaissent rien aux disciplines de leurs collègues (d'où l'importance qu'ils soient plusieurs), ils vont révolutionner les fleurs, les fruits, même les feuilles, si c'est dans nos jardins à nous qu'on les accueille.
Heureusement, la nature possède un certain charme que même les cuistres ne peuvent corrompre. Et c'est ainsi que les jardins les plus chers parviennent malgré tout à embellir la ville!
(Le Coin du Ronchon, La Nation du 1er août 1997)
La première: vous faites venir les jardiniers de la commune, et vous leur demandez d'arranger joliment ce coin. Ni une ni deux, ils y mettront des fleurs, des arbres peut-être, tout naturellement. Après tout c'est leur métier.
La deuxième solution: vous avez besoin d'un projet novateur, qui interpelle les citoyens, bref: du changement. Vous faites venir des spécialistes, des experts, des pros. De très loin si possible (comme dans les clubs de football). Vous leur promettez (et vous leur verserez effectivement) des salaires de ministres pour qu'ils se penchent sur vos espaces à remplir. Et les voilà partis pour expliquer devant des caméras, avec leurs accents qui zurichois, qui new-yorkais, et avec force gestes amples, force intonations théâtrales, avec un vocabulaire hermétique âprement acquis dans les facultés de sciences humaines, les voilà donc qui expliquent leurs démarches, leurs questionnements, leurs sentiments, leurs états d'âme, et que ça les chatouille et que ça les gratouille. Equipes pluridisciplinaires d'experts qui ne connaissent rien aux disciplines de leurs collègues (d'où l'importance qu'ils soient plusieurs), ils vont révolutionner les fleurs, les fruits, même les feuilles, si c'est dans nos jardins à nous qu'on les accueille.
Heureusement, la nature possède un certain charme que même les cuistres ne peuvent corrompre. Et c'est ainsi que les jardins les plus chers parviennent malgré tout à embellir la ville!
(Le Coin du Ronchon, La Nation du 1er août 1997)
