Déranger est à la mode
Etre dérangé aussi
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Que se passe-t-il quand les historiens abandonnent leur rôle d'observateurs pour se transformer en acteurs de la vie sociale et politique? Ils ont des idées qui dérangent. C'était écrit dans un grand quotidien vaudois, en introduction à un article consacré à un professeur d'histoire bâlois. Que croyez-vous qu'il arriva? A-t-on prié ce fâcheux de retourner à son histoire? Non, on l'a interviewé. Et loin de s'excuser, l'auteur du dérangement semblait très fier de déranger.
Autrefois, l'éducation, les bonnes manières, le savoir-vivre, recommandaient retenue et courtoisie: on évitait de déranger, à plus forte raison de choquer ou de bousculer. Aujourd'hui, les maîtres-mots de la bienséance sont justement ceux-là: déranger, choquer, bousculer, heurter, ébranler. C'est même du dernier chic, et nos modernes précieuses ridicules, d'une bouche empruntée au derrière des poules, gloussent de satisfaction: «Voilà, ma chère, des idées qui dérangent, qui nous bousculent même délicieusement!»
Pour un peu, ce serait rendre service aux gens que l'on rencontre que de les catapulter à terre. Car il nous faut dès maintenant nous préparer à affronter le vent âpre de la concurrence et à relever les formidables défis du XXIe siècle. Et ceux qui prennent quelques baffes aujourd'hui sauront mieux s'adapter au monde de demain, les Spartiates l'avaient compris avant nous.
Cela n'explique pas pourquoi les idées qui dérangent le peuple sont jugées novatrices, alors que celles qui dérangent le pouvoir restent punissables. D'ailleurs, la raison de cette manie de choquer est peut-être beaucoup plus simple, plus humaine: quand on a, à l'image du professeur évoqué plus haut, une tête ronde, de grands yeux ronds derrière de grandes lunettes rondes, et des idées si rondes qu'elles ne présentent aucune aspérité reconnaissable, on essaye de heurter les autres pour se convaincre qu'on existe.
(Le Coin du Ronchon, La Nation du 2 février 1996)
Autrefois, l'éducation, les bonnes manières, le savoir-vivre, recommandaient retenue et courtoisie: on évitait de déranger, à plus forte raison de choquer ou de bousculer. Aujourd'hui, les maîtres-mots de la bienséance sont justement ceux-là: déranger, choquer, bousculer, heurter, ébranler. C'est même du dernier chic, et nos modernes précieuses ridicules, d'une bouche empruntée au derrière des poules, gloussent de satisfaction: «Voilà, ma chère, des idées qui dérangent, qui nous bousculent même délicieusement!»
Pour un peu, ce serait rendre service aux gens que l'on rencontre que de les catapulter à terre. Car il nous faut dès maintenant nous préparer à affronter le vent âpre de la concurrence et à relever les formidables défis du XXIe siècle. Et ceux qui prennent quelques baffes aujourd'hui sauront mieux s'adapter au monde de demain, les Spartiates l'avaient compris avant nous.
Cela n'explique pas pourquoi les idées qui dérangent le peuple sont jugées novatrices, alors que celles qui dérangent le pouvoir restent punissables. D'ailleurs, la raison de cette manie de choquer est peut-être beaucoup plus simple, plus humaine: quand on a, à l'image du professeur évoqué plus haut, une tête ronde, de grands yeux ronds derrière de grandes lunettes rondes, et des idées si rondes qu'elles ne présentent aucune aspérité reconnaissable, on essaye de heurter les autres pour se convaincre qu'on existe.
(Le Coin du Ronchon, La Nation du 2 février 1996)
