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Boire ou ne pas boire, il faut choisir

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L’été arriva; un soleil implacable brillait dans un ciel sans nuages; la température atteignait chaque jour quarante ou cinquante degrés; il survenait de ce chef des pluies d’orage torrentielles qui duraient plusieurs heures et submergeaient tout.

Ces lignes sont de l’auteur allemand Theodor Kröger, qui, dans son roman autobiographique Le Village oublié, raconte son séjour dans un coin perdu de l’Oural, en tant que prisonnier de guerre durant la Première Guerre mondiale.

On ne peut s’empêcher d’éprouver un certain malaise à l’idée qu’en écrivant ce livre il y a un siècle, Kröger a tenté insidieusement de minimiser grossièrement le réchauffement climatique que nous connaissons aujourd’hui. N’est-il pas totalement éco-irresponsable de laisser croire au lecteur de 2023 que des températures caniculaires pouvaient déjà se rencontrer en 1915 ou 1916, sans que personne n’en éprouve une quelconque éco-anxiété? On est en droit de se demander si cet ouvrage dangereux ne devrait pas être mis à l’index.

Car enfin, on peut bien disserter librement de nombreuses opinions, mais comment oserait-on nier la réalité du sévère dérèglement de l’été que nous traversons? Ne s’agit-il pas d’un dérèglement lorsque les mêmes offices étatiques de prévention qui ne cessent de nous répéter à longueur d’année combien il est dangereux de trop boire, se mettent soudain – dans un touchant élan de sollicitude face à notre incapacité à nous comporter comme des adultes responsables – à nous rappeler chaque jour combien il est vital de boire en suffisance?

Les puristes nous objecteront qu’il n’y a pas de contradiction formelle entre les injonctions «buvez avec modération!» et «pensez à boire régulièrement!» Mais comment espérer que le citoyen moyen, que l’on présume oublieux d’étancher sa soif lorsqu’il fait chaud, sache interpréter correctement le subtil et brutal enchaînement de ces deux messages?

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2234, 25 août 2023)