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Appréhender la démographie sans dogmatisme

La croissance démographique de la Suisse suscite des réactions contrastées. Les uns y voient la promesse d’une croissance économique réjouissante et la consécration d’un modèle social attractif. D’autres redoutent une promiscuité grandissante et une pression difficilement supportable sur les infrastructures, le territoire et les services publics. Une initiative populaire fédérale «Pas de Suisse à 10 millions (initiative pour la durabilité)» vient d’être lancée, qui confierait au Conseil fédéral le soin de prendre les mesures nécessaires pour limiter la population suisse, si nécessaire en dénonçant des accords internationaux.

Cette agitation vient du fait que la barre des 9 millions d’habitants semble devoir être franchie encore cette année, devançant ainsi de deux ans le scénario établi en 2020 par l’Office fédéral de la statistique. Le chiffre symbolique de 10 millions, envisagé pour 2040, sera-t-il aussi atteint plus tôt? Ou alors, comme le pensent certains démographes, la tendance fléchira-t-elle, voire s’inversera-t-elle d’ici une petite dizaine d’années? On n’en sait évidemment rien et c’est pourquoi il faut rester prudent.

Les inconvénients de la pression démographique ne doivent pas être sous-estimés, surtout lorsque le développement des infrastructures peine à suivre. Mais il faut aussi considérer la situation particulière qui se présente aujourd’hui, avec une proportion de personnes en âge de travailler qui diminue. Cela a des conséquences dans le monde des entreprises, dont le travail se trouve compliqué et freiné par un manque chronique de main-d’œuvre; certaines entreprises étrangères hésitent désormais à venir s’implanter en Suisse pour cette raison. Cela entraîne aussi des conséquences non négligeables sur les assurances sociales, dont le financement est menacé par le déséquilibre de la pyramide des âges.

En l’état actuel et à court terme, la Suisse n’a pas les moyens de résoudre ces problèmes autrement qu’en accueillant de nouveaux travailleurs. Fixer dans la Constitution un nombre maximum d’habitants, selon une arithmétique arbitraire, et verrouiller soudainement toute possibilité d’immigration, fût-elle issue des pays voisins, n’apportera rien de positif.

Rien n’empêche en revanche d’imaginer des stratégies et des conditions cadres qui permettent de détendre le marché de l’emploi et de pérenniser les assurances sociales sans recourir uniquement à une croissance démographique dont l’évolution future reste de toute manière incertaine. On peut ainsi voir dans la croissance actuelle une chance de se préparer au moment où celle-ci s’infléchira peut-être d’elle-même. Elle s’infléchira d’ailleurs certainement si l’on réussit à atténuer les causes qui la rendent aujourd’hui nécessaire.

En d’autres termes, il s’agit d’appréhender la situation actuelle avec confiance et intelligence, sans dogmatisme face à la croissance ou à la décroissance, et en développant notre capacité d’adaptation plutôt qu’en inventant de nouvelles contraintes législatives.

(L'Agefi, 18 août 2023)

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