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Retour à l'état sauvage

Quand les gentils petits chiens cèdent la place aux grands méchants loups

Il a été question ici même des marmottes vaudoises et de leur politique d'exclusion vis-à-vis de leurs congénères étrangères. Mais ces perspicaces rongeurs parviendront-ils à résister aux invasions de rats, de renards, de loups, de sangliers et peut-être d'ours?

Car le retour à l'état sauvage est une nouvelle lubie de notre société hautement civilisée! L'homme qui, à travers les âges, s'est donné tant de mal pour combattre dinosaures, ptérodactyles, mammouths et autres bestioles plus modernes mais tout aussi antipathiques, ressent aujourd'hui un terrible complexe de sa victoire relative. Nos écologistes ont décrété que l'être humain prenait désormais trop de place, que la nature domestiquée devait s'affranchir de nos limites, et que nous devions réparation à tous les animaux dont nous avons, à un moment ou à un autre, lésé les droits imprescriptibles.

Avant, donc, on aimait les mignons petits chats et les gentils petits chiens qu'on nourrissait à la cuisine. Aujourd'hui, on préfère les bêtes sauvages qu'on vénère de loin pour éviter de les déranger ou de les nourrir involontairement. Ça a commencé avec le lynx, ça continue avec le loup, et ça grossit encore puisque l'ours - que quelques énergumènes confondent encore avec Nounours ou Winnie l'ourson - promet d'être le prochain heureux bénéficiaire de ces réhabilitations culpabilisantes. On interdit aux musulmans d'égorger des moutons mais le loup, lui, peut le faire dans l'indifférence générale. Et il se trouvera bien un jour quelque fanatique pour intenter des procès posthumes à Charles Perrault et à Serge Prokofiev, ou au comte Berthold V de Zaehringen dont on dit qu'il tua un ours en fondant la ville de Berne... Il n'y a plus guère que les Valaisans qui résistent encore et toujours à l'envahisseur, patrouillant tout l'été à bord de leurs chasse-neige dans l'espoir d'écrabouiller accidentellement les loups et les écologistes qui s'aventureraient dans leurs vallées.

Et à force d'aimer la sauvagerie, logiquement, l'homme ressemble de plus en plus souvent à un sauvage (voyez ces hooligans ivres, ces toxicomanes hagards et tous les autres fêlés qui arpentent nos trottoirs). Et les animaux sauvages eux-mêmes débarquent dans nos villes (voyez ces renards qui écument les quartiers tranquilles de la capitale et rôdent même dans certaines rues animées du centre). Qui sait si nous ne finirons pas tous dans un enclos aux Rochers-de-Naye? On appellera ça «Humains paradis». Drôle de paradis!

(Le Coin du Ronchon, La Nation du 23 août 2002)