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Matériel de guerre: où est l’intérêt de la Suisse?

La législation suisse en matière d’exportation et de réexportation de matériel de guerre compte parmi les plus sévères du monde. Elle a été durcie ces dernières années sous la pression de la gauche antimilitariste, qui dénonçait la présence d’armes et de munitions helvétiques dans certains conflits.

Durant les premiers mois de l’attaque russe contre l’Ukraine, le discours dominant en Suisse visait plutôt une limitation des exportations, afin d’éviter que du matériel suisse ne se retrouve sur ce champ de bataille. Mais aujourd’hui plusieurs clients de l’industrie helvétique ont promis une aide militaire à l’Ukraine et exigent donc de pouvoir réexporter vers ce pays à tout le moins les munitions qu’ils ont achetées à la Suisse. Les pressions internationales se font de plus en plus dures, ce qui amène une grande partie du monde politique fédéral – y compris au Parti socialiste – à changer d’avis et à plaider pour que du matériel suisse puisse être envoyé en Ukraine, moyennant un assouplissement de la loi.

La semaine passée, la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats (CPS-E) a proposé de limiter à cinq ans la validité des déclarations de non-réexportation signées par les pays acheteurs. L’idée est que l’utilisation d’armes ou de munitions suisses plus de cinq ans après leur achat n’engage plus réellement la responsabilité de la Suisse. Il n’est pourtant pas sûr que cette proposition suffise à calmer les esprits. La commission équivalente du Conseil national (CPS-N) réclame une véritable «Lex Ukraine» qui autoriserait automatiquement toute réexportation de matériel de guerre helvétique si celui-ci est destiné à soutenir la défense ukrainienne.

Quelle est l’enjeu véritable de ces débats? La Suisse représente moins de 1% dans le commerce international des armes et ce ne sont donc pas les munitions helvétiques qui vont changer la face du conflit ukrainien. Si les pays de l’OTAN exercent des pressions sur la Suisse, c’est sans doute dans un but plus politique – contester l’idée même de la neutralité – que militaire. De même, si des personnalités suisses abondent dans ce sens, c’est probablement moins le fruit d’une réflexion stratégique qu’une préoccupation d’image et de positionnement moral.

Il existe cependant un enjeu stratégique concret pour la Suisse. Si les pays de l’OTAN décidaient de ne plus acheter de matériel de guerre helvétique, cela affaiblirait notre industrie d’armement, entraînant alors des répercussions négatives sur nos propres capacités de défense – qui ne devraient idéalement pas reposer exclusivement sur du matériel étranger.

La principale préoccupation du monde politique doit être de préserver les intérêts de la Suisse. En l’occurrence, il s’agit de mettre en balance, d’une part, la menace qu’un maintien strict de la neutralité pourrait faire courir à notre industrie d’armement et donc à notre capacité de défense et, d’autre part, les conséquences, y compris à long terme, d’un abandon de cette même neutralité.

(L'Agefi, 10 février 2023)

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