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Développer la cyberadministration sans l’imposer

Le développement de la cyberadministration pousse à l’interconnexion des données et à l’interopérabilité des pratiques administratives. Annonces de déménagement, contrôle des habitants, casiers judiciaires ou assurances sociales: les administrés s’attendent désormais à ce que ces services fonctionnent en bonne intelligence d’un bout à l’autre de la Suisse.

Mais l’interopérabilité éveille aussi des appétits de pouvoir: si ces services fonctionnent ensemble, ne serait-il pas préférable de les soumettre à une même autorité, qui les contrôlerait d’un bout à l’autre de la Suisse? Sous prétexte de mieux servir les administrés, on tente alors de prendre des libertés avec les délimitations politiques ou administratives et de centraliser les instances de décision. L’interopérabilité n’impose pas forcément cela, mais elle donne des ailes à ceux qui cherchent à étendre leur contrôle.

On en trouve une illustration dans le projet LMETA (loi fédérale sur l’utilisation des moyens électroniques pour l’exécution des tâches des autorités). Destinée dans son principe à encadrer la numérisation de l’administration fédérale, on y a ajouté une disposition permettant d’imposer des moyens informatiques particuliers à toutes les autorités chargées d’exécuter le droit fédéral – les cantons principalement, mais aussi, par exemple, les caisses AVS.

Cette «excroissance» a été vigoureusement contestée par les cantons, mais aussi par des caisses AVS qui élaborent depuis plusieurs années des solutions en ligne pour leurs assurés. D’accord pour des normes d’interopérabilité, mais pas pour l’obligation d’utiliser certaines plateformes numériques choisies par l’administration fédérale. Il en va du respect des autorités cantonales et de leur liberté de décision. Il en va aussi de la préservation d’une saine concurrence entre les systèmes informatiques – sachant que les choix de la Confédération dans ce domaine n’ont pas toujours brillé par leur pertinence.

Est-ce à dire que chaque entité développera sa cyberadministration en solitaire, sans coordination? Tel n’est pas le cas puisqu’une plateforme «Administration numérique suisse» (ANS) a été mise sur pied par la Confédération, les cantons et les communes, précisément pour développer la cyberadministration sur des bases concertées. Mais concertées ne signifie pas imposées…

Le dossier LMETA devrait trouver son épilogue au Parlement d’ici la fin de l’année, dans une version qu’on espère satisfaisante puisque le Conseil des Etats semble déterminé à refuser un casus belli avec les cantons. Mais le débat ne sera jamais complètement clos et le respect scrupuleux des institutions, des compétences et des frontières politiques apparaîtra toujours comme une complication inutile aux yeux de certains. D’où la nécessité de rappeler inlassablement l’importance des questions institutionnelles, à commencer par la plus essentielle: qui décide? Si d’aucuns négligent cette question, d’autres ne manqueront pas d’y prêter la plus grande attention – à leur profit.

(L'Agefi, 4 novembre 2022)

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