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Crise de non-identité

La presse nous apprend qu’à l’Université de Genève, comme c’est déjà le cas dans d’autres universités, les examens seront désormais anonymisés «pour éviter des iniquités entre les étudiants». Le Parti socialiste s’est réjoui d’une victoire dans la lutte contre le favoritisme et la discrimination.

D’une certaine manière, les socialistes ont raison: si l’Université de Lausanne, en 1937, avait décerné à Benito Mussolini un doctorat honoris causa anonyme, on ne pourrait pas aujourd’hui le lui retirer juste parce que c’est lui.

Et lorsque tous les tests scolaires, à l’instar des examens universitaires, seront anonymisés, en ne portant aucun nom ni aucune référence à leur auteur, alors on aura réellement éradiqué toute forme de discrimination entre les cancres et les «forts en thèmes», entre ceux qui savent écrire ou calculer et les autres.

Aujourd’hui déjà, de nombreuses entreprises et administrations engagent leurs collaborateurs sur la base de curriculum vitae anonymisés, afin d’éviter que les candidats soient choisis sur la base de leur photographie, de leur nom, de leur sexe, de leur âge ou de leur nationalité – demain, il faudra aussi veiller à ce qu’ils ne soient plus choisis en fonction de leur formation, de leurs expériences et connaissances professionnelles ou de leurs compétences, car ça aussi c’est de la discrimination.

L’idée fait son chemin puisque de nombreux démarcheurs téléphoniques masquent désormais leur numéro pour anonymiser leurs appels; et on voit même certains clients porter une cagoule lorsqu’ils entrent dans une banque ou une station-service, dans le but, là aussi, d’anonymiser leurs demandes pour s’assurer qu’ils ne seront pas moins bien servis que les privilégiés qui ont les moyens de payer tout ce qu’ils consomment. A chaque fois, c’est une discrimination qui recule et le progrès qui avance! Et il ne reste sans doute plus guère que quelques étapes à franchir pour que soient acceptés les passeports anonymes ou les plaques d’immatriculations anonymes (car les personnes recherchées par Interpol sont actuellement discriminées, tout comme les conducteurs trop pressés).

Il y fort longtemps, Ulysse s’était présenté sous le nom de «Personne» pour induire en erreur le cyclope Polyphème. Dans la société actuelle, obnubilée par la protection des données et la phobie des discriminations, tout le monde veut se faire appeler «Personne» et plus personne ne sait vraiment qui il est. Heureusement que Facebook et Google, eux, savent encore qui nous sommes.

(Le Coin du Ronchon, La Nation n° 2212, 21 octobre 2022)